Devo, c’est l’histoire de cinq potes de Akron (Ohio), qui se rendent compte que le monde qu’on leur promettait après la 2nde guerre mondiale reposait sur des foutaises. Les années 60 sont marquées par la guerre froide, la guerre du Vietnam, des droits civiques pour la minorité afro-américaine qui restaient encore à conquérir. Les États-Unis étaient encore divisés par le racisme, de fortes inégalités socio-économiques alors que le président Nixon trempait dans des scandales qui vont exploser avec l’affaire du Watergate. En 1970, les deux têtes pensantes du groupe, Jerry Casale et Mark Mothersbaugh, étudiants à la Kent State University, vivent traumatisés la fusillade sur le campus où manifestaient des étudiants et étudiantes par la garde nationale et qui fait quatre morts. Mothersbaugh explique que tout est parti de là. C’est ensuite que se forme le groupe constitué de deux duos de frères, les Mothersbaugh (Mark et Bob) et les Casale (Gerald et Bob), accompagnés d'Alan Myers. Ils partent d'une idée : la de-evolution, un concept global (pas uniquement musical) qui vise à montrer que l’humanité n’est pas en train de progresser mais bien de régresser et de s’abêtir à coup de consommation de masse et d’abrutissement devant la télé, déclin encouragé par le pouvoir politique et les grandes firmes qui font pleuvoir leurs pubs. Leur musique a découlé de ce concept. Le groupe s’inspire du dadaïsme mais aussi d’Andy Warhol. La provocation est constante. Ils s’habillent tous de la même combinaison en plastique pour usine radioactive et sortent rarement sans leurs masques. Ils disent aussi descendre d’une lignée de singes dévoreurs de cerveaux !
Leurs premiers concerts à Akron sont radicaux, prolongeant la provocation pour faire réagir le public et on en voit des images dans le documentaire, tenant plus du happening sans concession que du « concert ». Ni punk (avec lesquels ils se sont bastonné !), ni new-wave, ils voulaient alors allier « brutalisme et minimalisme » selon un des membres, le peu de public partant progressivement de la salle !!! Comprenant qu’il s’agit d’une impasse et que s’ils veulent que leur message soit diffusé, ils vont devoir évoluer s'ils ne veulent pas passer toute leur vie à Akron: « Comme rendre ça présentable sans faire de compromis ? », voilà la question centrale que les musiciens se posent. Ils arrivent à New York et leur son s’accélère, inspiré par le punk rock des Ramones, ce qui donne une musique subversive et dansante en même temps. Ils signent un énorme contrat avec Warner Records mais n’entendent pas pour autant se plier aux règles du showbiz : les clips de Devo, tels que “Beautiful World” et “Freedom of Choice”, contiennent de fortes critiques sociales, abordant des sujets comme la violence policière et la conformité.
Malgré les difficultés rencontrées pour faire entendre leur voix, ce groupe est adulé par Iggy Pop, Debbie Harry ou encore Bowie qui les présente sur scène (consécration suprême !) et qui va même aider Brian Eno à produire leur 1er album. Devo a marqué plusieurs générations d’artistes, du mouvement punk à des figures contemporaines comme M.I.A. ou Nirvana (Cobain était un grand fan), qui évoquent l’esprit anticonformiste et très subversif du groupe. Ils sont entrés dans la culture populaire et sont même cités dans « Retour vers le futur » de Robert Zemeckis. Mais leur contrat avec Warner est vite expédié, les musiciens refusant de plier devenant gênants pour les dirigeants de la maison de disques et le grand public qui avait ovationné « Whip it » ne suivant plus. Ils publient un dernier album studio en 1990 avant de suivre des voies différentes. Mais ils ont refait ponctuellement des tournées. En remettant en question l’autorité et en défendant leur vision artistique, Devo reste un témoin critique et satirique des évolutions sociopolitiques, et leurs idées résonnent plus que jamais dans un contexte mondial agité. Casale et les deux autres membres du groupe encore vivants ont remarqué la présence de jeunes fans lors de leurs concerts. En 2025, avec plus de 50 ans de carrière derrière eux, ils repartent en tournée avec les B-52’s dans le cadre de la “Cosmic De-Evolution Tour”, symbole d’un renouveau. « Are we not men ? – We are Devo ! », voilà le mot d’ordre de ce très bon documentaire foisonnant.