Mélancolique jeunesse cambodgienne

Diamond Island est une île, au milieu du Mékong, reliée par un grand pont à Phnom Penh, la capitale du Cambodge. Sur cette île où il n'y avait que sable et herbe, l'Etat cambodgien et la finance internationale ont décidé de construire, à coups de dizaines ou centaines de millions de $, un quartier paradisiaque pour privilégiés, qui serait en même temps comme une vitrine du Cambodge du futur. De vastes chantiers ont ouverts, attirant notamment les jeunes bras des campagnes environnantes à la recherche d'un moyen d'existence, et parmi eux, Bora, 18 ans, le héros de l'histoire. Au début du film, il quitte sa mère vieillissante et son frère aîné déjà marié pour aller travailler sur un chantier de Diamond Island. Il est accompagné d'un copain du même âge, Dy. Ils vont se lier avec deux autres garçons travaillant sur le même chantier. Ces quatre garçons rencontreront quatre filles et notamment la belle Aza qui n'est pas insensible aux charmes de Bora. Lui retrouvera fortuitement son frère Solei parti sans plus donner de nouvelles cinq ans plus tôt. Celui-ci a eu la chance (?) de rencontrer un "mécène" américain qui s'est intéressé à lui suffisamment pour que Solei n'ait pas à travailler sur le chantier de Diamond Island, mais habite (et travaille à ?) Phnom Penh même, évoluant ainsi dans un milieu de nantis, la "jeunesse dorée", en tout cas argentée, de la ville. Quand Solei s'absente de Phnom Penh, il laisse sa moto à Bora. Ce qui permet à celui-ci de proposer des balades en moto à Aza dont, en fait, il aimerait bien faire sa copine. Une idylle naîtra entre les deux jeunes gens (sûrement la première histoire de coeur de Bora). Les semaines passent. Il est question que Solei parte en Amérique avec son "mécène" pour étudier, dit-il, et que Bora l'accompagne. Et puis il y a le décès de leur mère et Solei qui part en Amérique mais sans Bora, car le "mécène" en a décidé ainsi. Néanmoins, grâce à l'aide (et aux relations ? pas mal d'ellipses dans le récit) de Solei, Bora pourra quitter le chantier de Diamond Island pour travailler (dans les "bureaux" ? en tout cas, autrement que comme simple manoeuvre) à Phnom Penh même et y vivre. Il fréquentera ainsi des garçons et filles d'un milieu plus favorisé, perdra un peu de vue, sans vraiment le vouloir, ses amis du chantier, ainsi qu'Aza, à laquelle il continue néanmoins de penser (mais ils sont, l'un et l'autre, passés à autre chose, c'est comme ça, la vie est comme ça)...
L'intrigue principale (la vie du tout jeune adulte Bora et sa re-rencontre avec son frère Solei) est un peu noyée dans l'aspect documentaire du film, en même temps que dans son côté esthétisant et le travail sur la forme. Il y a, comme déjà dit, un certain nombre de pudiques ellipses. Du non-dit seulement exprimé par des images et un fond musical adapté ou simplement du silence (comme si certaines choses étaient indicibles). Un silence audio signifiant, obtenu par post-synchronisation, car (dixit le réalisateur Davy Chou, 33 ans, dont c'est le premier film de fiction, après Le Sommeil d'or, un documentaire très remarqué), Phnom Penh et le quartier correspondant à Diamond Island sont, au contraire du film, très bruyants.
J'ai trouvé la mise en scène de Davy Chou magnifique, inspirée. Je ne suis pas un technicien (je serais plutôt un "artiste"), mais il y a un gros travail sur le son (le silence, la musique), sur la palette chromatique (les couleurs employées), sur la façon de photographier les visages, de les éclairer. Sur le casting : les acteurs sont des non-professionnels au type cambodgien (?) très marqué qui, de prime abord, peut décontenancer l'Occidental qui n'est jamais trop sorti de son trou (perso, je ne suis jamais allé en Extrême-Orient), mais ces visages sont si bien (si amoureusement) cadrés, éclairés, photographiés qu'une fois un peu habitués à leurs traits, on ne peut s'empêcher de les trouver beaux, étrangement beaux et... sensuels (Les Inrocks parle d'ailleurs d'une "jeunesse cambodgienne magnifiée"). Gros travail aussi du côté montage. Du coup, il faut un peu s'accrocher pour suivre l'histoire, car malgré les ellipses, le rythme du film est paradoxalement assez lent.
Une chose que je n'ai pas encore dite, c'est que c'est un "teen movie" : durant les 99 minutes de projection, on ne voit quasiment que des jeunes gens. Très très peu de personnes dépassant les 30-35 ans (la terrible saignée subie par le Cambodge dans les années 1975-1979, lorsque les Khmers rouges y régnaient en maîtres absolus et trucidaient à tour de bras les "opposants", est encore très perceptible : il n'y a quasiment plus de témoins de cette époque-là !).
Pour revenir à la trame générale de l'histoire, le jour on voit ces jeunes Cambodgiens travailler sur les chantiers de construction de Diamond Island dans des conditions pénibles et ingrates, et la nuit ils tournent inlassablement en scooters ou motos autour de ce quartier en cours d'édification, dans les lumières de la nuit, comme des papillons attirés par les néons et les globes de lumière... au risque de s'y griller les ailes.
Il est dit que le jeune réalisateur a subi l'influence de Hou Hsiao-Hsien ou Jia Zhang-ke (A Touch of Sin), mais perso, il m'a aussi rappelé, par son étrangeté et l'espèce de distance qu'il rend perceptible entre les gens et le décor, le monde environnants, l'Antonioni du Désert rouge, de Blow Up (voire de La Chine).
En conclusion, je dirai que le film se veut et est réaliste (on voit des grues, des immeubles en cours de construction, un appartement modèle, immaculé, luxueux mais non encore habité... ou au contraire, même si rarement montrés, des quartiers totalement misérables), mais c'est un réalisme poétisé. C'est une évocation poétique (poétisée) de la vie des jeunes Cambodgiens d'aujourd'hui. Une évocation délicate, sensuelle (les jeunes gens du couple vedette ont de grosses bouches rouges qui font envie), pop, esthétique, clairement mélancolique. Une oeuvre attachante que j'ai placée dans mon "Top 30" des sorties 2016.

Fleming
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le 29 déc. 2016

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