Adaptation méconnue d'un comics qui eut, durant les années 30, ses lettres de noblesse, le Dick Tracy de Warren Beatty est un drôle de film : il est dur de s'attendre au délire visuel qu'il transporte tout du long, et s'il est certain qu'il sera dur de s'y faire, l'univers amené fonctionne à merveille grâce à cet étrange mélange entre les registres tragiques et comiques, montré avec un étonnant talent par la caméra maîtrisée d'un Beatty visiblement polyvalent.


Il incarne sans surprise le rôle principal, Dick Tracy, et s'oppose à un autre artiste de renommée, un Al Pacino en cabotinage total, qui sous son maquillage semble sortir droit d'un comics. Il balance ses répliques dans tous les sens, incarne l'exact inverse de son ennemi, le héros du film, sorte de stéréotype du héros de film noir : dur à cuire, inexpressif, insensible au charme de femmes fatales et fort de ses valeurs, Tracy traverse le film autant qu'il dégomme les sbires de Pacino, nous amenant par la même occasion de nombreuses fusillades particulièrement jouissives.


Les deux mènent un affrontement d'anthologie type Incorruptibles, et l'on vient rapidement à se dire que Beatty, reprenant la froideur d'un Costner, tient tête à De Niro devenu le Joker de Burton, un Pacino sous coke et caché derrière un masque profondément grotesque (toutes les prothèses de visage sont d'ailleurs crédibles, aussi étranges qu'elles font très plastiques). Beatty qui parodie à la fois De Palma et Costner, cela donne un film étrange.


D'autant plus qu'il semble très inspiré du Batman de Burton, sorti l'année d'avant. Tant visuellement qu'au niveau du rythme du film, Dick Tracy prévoyait le surplus de couleurs de Batman Forever, nous gratifiant de plans larges contemplatifs à la final de la duologie de Burton, les couleurs en plus et le gothique en moins. Et si ses Batman respectaient parfaitement l'esthétique du chevalier noir, Dick Tracy, prenant le penchant inverse, rend hommage à tous ces récits pulp en les réadaptant à son époque, remplaçant la noirceur de l'ami Tim par tous ses bâtiments colorés et ses rues surexposées à des éclairages de toutes teintes.


C'est fascinant de voir à quel point Dick Tracy pourrait représenter le volet manquant entre les Batman de Burton et ceux de Schumacher; car s'il reprend certains fameux passages des Incorruptibles (notamment sa manière de faire des ellipses à base de séquences d'action), il n'y a aucun doute sur le fait qu'il épouse la mythologie cinématographique du chevalier noir par les thèmes qu'il rebat, par sa bande-son signée Danny Elfman (étrange, n'est-ce pas?) et la manière de filmer la ville, d'en faire un personnage à part entière qui s'anime surtout de nuit.


Dick Tracy, c'est un peu comme si l'on mélangeait Sin City, Batman et le Spirit de Miller pour donner un mélange unique, visuellement fort, à la personnalité certaine et s'assumant parfaitement. C'est sûrement l'une des adaptations de comics les plus fidèles qui soit, tant on sent que Beatty voulait rendre son film comme un comics mouvant, les décors, les personnages et ses plans de caméra sonnant tellement bande-dessinée que le montage nous donne l'impression qu'à chaque fois qu'un cut se produit, qu'une scène se boucle, c'est le spectateur qui tourne la page de son Dick Tracy mensuel.


Forcément qu'il n'est pas exempt de tous défauts; on pourra lui reprocher son côté kitsch, quelques maladresses d'écritures, des incohérences et son twist final un peu éventé, prévisible et sans grande efficacité, qu'on sentait arriver en même temps que tout le pathos qu'il entraîne. Heureusement pour lui, il se termine par un magnifique plan, mettant toujours en avant le plaisir contemplatif des comics, quitte à perdre la volonté de narrer de l'art cinématographique, et nous ramenant au plaisir qu'on a pu éprouver tout du long. Un délire visuel jouissif, plus comics que comics, et étrangement lié à d'autres oeuvres avec lesquelles il ne pouvait avoir, à premier abord, aucun lien.

FloBerne

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