Die Farbe
6.4
Die Farbe

Film de Huan Vu (2010)

Lovecraft est un auteur fantastique. Et par chance, les deux meilleures nouvelles de son œuvre ont donné naissance aux deux meilleurs films sur son univers ("Le cauchemar d'Innsmouth" et "La Couleur tombée du Ciel", respectivement adaptées avec les films "Dagon" et "Die Farbe"), comme Poe, Lovecraft est un auteur qui a trouvé sa prose, à la fois belle et complexe. Lovecraft et Poe sont unanimement reconnus comme des légendes littéraires, de par leurs compétences certainement, mais surtout de par l'ampleur de leur travail, que peu de gens semblent capables de saisir dans toute leur immensité. Peu importe au final, puisqu'ils ont acquis le respect éternel de leurs pairs pour leur contribution à l'élévation du genre littéraire et leur style inimitable.


Bref, revenons au sujet de cette critique, il s'agit d'un film allemand à petit budget qui a beaucoup fait parler de lui à l'époque de sa sortie, principalement dans le circuit des festivals, c'est une adaptation du livre "The Colour Out of Space". Quiconque possédant une certaine expérience cinématographique des adaptations de Lovecraft sait qu'il y a deux manières d'en tirer de bons films, premièrement, les films typés "adaptation", qui respectent l'ambiance du livre, comme l'a brillamment fait Carpenter avec l'Antre de la Folie, ainsi que le récent "L'appel de Cthulhu" un film muet en noir et blanc à très petit budget, qui est à recommander chaudement à tous les admirateurs avertis de l’œuvre lovecraftienne, ensuite viennent les films à la Stuart Gordon: From Beyond, la série des Re-Animator, ainsi que Dagon, certainement le meilleur film tiré d'un roman de Lovecraft.


Die Farbe, en ce qui le concerne, est certainement la meilleure ADAPTATION de l’œuvre de Lovecraft, le livre est un récit sur une histoire de monstruosités indescriptibles sorties d'un autre monde, à la fois donc un film de sci-fi et un film d'horreur dans un sens plus général. Pour les néophytes du bonhomme, il suffirait d'une simple lecture d'un bref résumé de l'histoire courte originale pour confirmer que l'adaptation cinématographique est très fidèle, mais de toute évidence doit poinçonner un peu pour développer l'histoire dans un format convenable pour un film.


Petit résumé du synopsis:
Jonathan Davis (Ingo Heise), d'Arkham, au Massachusetts (un lieu récurrent de Lovecraft), enquête sur la disparition de son père (Ralf Lichtenberg). Cette enquête le mène sur le chemin de l'Allemagne, où il rencontre Armin Pierske (Michael Kausch), qui reconnaît une photo du père de Jonathan ... une ancienne photo où il est en uniforme de soldat. Armin commence à lui raconter l'histoire de « la couleur », ce phénomène qui s'est produit en campagne après la chute d'une météorite. Il semblerait que cette météorite contenait un élément radioactif qui causait d'étranges phénomènes, entre autres celui de donner une teinte grisâtre au paysage de la région, ainsi que celui de tripler la taille des fruits, des insectes et des petits animaux. Enfin, les êtres humains exposés restaient dans un état catatonique, presque fous, et une fois que cela se produisait, il n'y avait pas de rédemption pour eux.


Le film se déroule dans une harmonie assez impressionnante avec la nouvelle dont il est tiré, le réalisateur est un parfait inconnu dans le monde du cinéma, mais il est certainement un lecteur assidu de Lovecraft. L'adaptation n'est pas spécialement virtuose, elle est très classique, mais pas dans un sens nuisible, plutôt dans un sens respectueux de l’œuvre. Comme dans le bouquin, le récit se déroule morceau par morceau, c'est sans doute la meilleure façon de raconter une histoire de ce genre. Car oui, malgré la présence d'horreur et de science-fiction, ce film reste une œuvre dont le fil conducteur est basé sur une énigme, et toute l'ambiance du métrage en découlera.


Tourné en noir et blanc, il rappelle le monde morne et mystique du film noir des années 50, genre le plus populaire dans la première moitié du 20e siècle. Ce choix délibéré du noir et blanc n'est pas évident au premier abord, on peut supposer que le cinéaste a opté pour une teinte sans couleurs afin de rappeler visuellement l'aspect tout à fait unique de "la couleur", sorte d’entité lugubre bien décidée à faire des ravages à travers le pays. On pense de suite à une astuce destinée à contourner une tâche impossible à réaliser, à savoir la création d'une toute «nouvelle» couleur, en effet la "couleur" en question est une forme de vie qui n'existe pas dans le spectre de la lumière visible. En fait, elle fait bien une apparition, et il s'agit du reste du seul objet à être colorisé - artificiellement certes - de tout le film, ce qui donne vraiment un aspect très naturel à l'ensemble. Finalement, on peut penser que les cinéastes ont choisi une palette en noir et blanc pour donner un cachet étrange et presque onirique à la photo. Et cela fonctionne bien, rappelant du coup par certains aspects Le Cabinet du Docteur Cagliari, sans trop s'en approcher toutefois.


Certes, Die Farbe n'est pas vraiment captivant au premier abord. On s'intéresse à l'histoire sans toutefois s'y investir réellement. Un gros bémol à signaler concerne d'ailleurs le jeu d'acteur qui n'est pas toujours au top, en particulier les scènes dans lesquelles nos personnages parlaient l'anglais (l'allemand est la langue dominante du film) honnêtement, on sent clairement que l'on a affaire à des allemands, même si les personnages sont sensés être américains, dommage car cela casse l'immersion, mais il s'agit de quelques scènes minoritaires fort heureusement. Un autre point étrange à signaler est ce sentiment de perte de repères qui peut être désagréable pour certains, comme mentionné précédemment, chaque couche du récit a été clairement séparée de la précédente, pour révéler un nouveau développement de l'intrigue, et on se retrouve parfois complètement désarçonné par ce mode opératoire, mais c'est un parti-pris qui mérite d'être mentionné.


S'il fallait choisir un mot pour décrire Die Farbe, ce serait "ambitieux". Le cinéaste n'avait manifestement pas un budget très important, mais il parvient à en tirer le maximum, pour nous livrer un récit tentaculaire halluciné, à la portée impressionnante. Et peu importe le rythme lent, les effets spéciaux fauchés, et le manque d'acteur charismatique, il y a vraiment un très bon travail de fond, comparable à ce que l'on peut voir dans les théâtres modernes, et parce qu'elles sont particulièrement bien placées tout au long du scénario, les fractures dans la narration n'en sont que plus mémorables. La direction de Huan Vu (Oui, c'est un asiatique allemand) est bien assurée, et vire même parfois au génial.


En somme, les lecteurs de Lovecraft feraient bien de se jeter sur ce film au plus vite, ainsi que tous les amateurs de film noir, d'expressionnisme allemand, de science-fiction, et des classiques d'horreur, car on tient là, non pas le meilleur film de l'univers Lovecraftien, mais la meilleure adaptation sans aucun doute.

Schwitz
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le 28 oct. 2016

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