1990 fut une année charnière pour l'Europe de l'Est, temps de la chute du communisme et de l'essor du capitalisme : un moment clef de l'Histoire du XXeme siècle, marqué par les "années Gorby" et par la fin d'une idéologie héritée du marxisme et du léninisme. Qui de mieux que le hongrois Miklos Jancso, cinéaste d'une illustre continuité artistique, pour mettre en forme cette déterminante rupture historique ?


Ce sera donc Dieu marche à reculons, l'un de ses films les plus théoriques mais également l'un des plus complexes de sa filmographie. Encore et toujours réalisé sous le signe du plan-séquence cette mise en abîme sur la politique et le média cinématographique figure parmi ses plus belles réussites : si le temps de l'oppression et celui de la révolte sont toujours de rigueur ( formant ainsi la principale texture du discours de Jancso ) ce cinéma fluide et canonique fait ici directement miroir avec les évènements de son époque. Alors que des films tels que Agnus Dei et Psaume Rouge trouvaient leur point d'ancrage dans le passé de l'Histoire de la Hongrie Dieu marche à reculons s'inscrit au coeur même de la rupture contemporaine. La dimension politique et engagée de l'oeuvre de Miklos Jancso n'en est que davantage audacieuse, retranscrite à chaud par le réalisateur qui nous laisse partager son ironie et ses désillusions.


Il est une nouvelle fois difficile de cerner l'intégralité des idées soulevées par le cinéaste, et une connaissance préalable de l'Histoire hongroise serait bénéfique pour mieux comprendre les subtilités de cette oeuvre-somme. On pense beaucoup à un chef d'oeuvre tel que le surpuissant Satantango de Bela Tarr - autre film sur le déclin du communisme en Europe de l'Est - puisque le capitalisme y est de la même façon associé aux desseins du Mal. Riche et remarquablement chorégraphié Dieu marche à reculons se voit, dans ses dernières minutes, édifié d'un bilan historique à travers lequel Jancso n'épargne rien ni personne. Superbe usage de la voix-off au sortir d'une oeuvre aux accès vertigineux. J'ai beaucoup aimé.

stebbins
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le 29 nov. 2015

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