Invariablement, la représentation des banlieues au cinéma semble poser problème pour certains (pour beaucoup ?) dès qu’un film ayant pour cadre les cités déboule sur les écrans (Audiard et Sciamma s’en souviennent encore). Au choix ce n’est qu’un prétexte, ou une vision tronquée, ou aseptisée, ou fantasmée, ou erronée, ou stéréotypée, en tout cas rarement "crédible", toujours prompte à impressionner ces gens biens de quelques festivals distingués ou n’ayant jamais traversé le périph, sinon pour aller boire une bière à Pantin. Cette vision comme une image impossible à figurer, insaisissable, fictionnelle par défaut (donc fausse) et encombrée des habituels lieux communs (dealers, sauvageons, immeubles délabrés, voitures en feu…) qui, pourtant, établissent chacun une sorte de vérité.


Bref. Houda Benyamina d’ailleurs s’en fout, du film de banlieue. "Ça ne veut rien dire, un film de banlieue. On ne dit jamais, par exemple, qu’il y a déjà eu trop de films qui se passent à Paris", a-t-elle dit. Sauf que son film s’inscrit clairement dans cette réalité-là, il en puise même, à sa sauce, le quotidien, les ressorts, les drames habituels. Mauvaise excuse. Et puis elle s’en fout parce que son film est une tragédie, a-t-elle dit aussi (c’est pour ça qu’il y a de la musique classique, ça en impose question tragique), celle de deux copines à la vie à la mort d’une banlieue pourrie où il ne manque ni les petits caïds ni les petites racailles ni les petits trafics (lieux communs, vérité, voir plus haut).


Deux copines qui, entre avenir gris tout tracé avec boulot d’hôtesse payé le SMIC et "salut providentiel" à la mosquée du coin, vont s’improviser bonnes à tout faire chez la manitou du quartier. Fini l’insouciance et les conneries d’ados rebelles, la thug life peut commencer. On le sent bien que Benyamina a la rage, qu’elle a du cœur et des tripes. On le sent dans sa mise en scène qui ose, qui s’ébroue ou qui se plante (la scène, affreuse, en Ferrari imaginaire, le final empathique…). On le sent dans son envie de vouloir dire plein de choses, trop de choses, énormément de choses (l’appât du gain, la violence, la misère, l’amour, l’amitié, la danse, l’émancipation, les bidonvilles, les choix à faire…).


On le sent dans sa façon de diriger Oulaya Amamra, enflammée, qui joue comme si elle allait crever demain alors qu’elle va l’avoir, son César. On le sent dans son côté bordélique, excessif, fatigant, "pédagogique" aussi : l’argent facile, les rêves de luxe et de marques nés d’un capitalisme décomplexé, c’est pas bien, travaille dur à l’école pour t’en sortir, dépasse-toi, crois en toi dans cette chienne de vie et autres lapalissades du même acabit (tout ça concentré dans le rôle de ce danseur tatoué et tête à claques, incarné par une espèce de clone de Jamie Dornan). L’école de la vie, c’est pas Seydoux en fait, c’est Benyamina.


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mymp
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le 7 sept. 2016

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