Deuxième anniversaire majeur depuis son relaunch en 2005, l’année 2023, pour la série de science-fiction la plus longue de tous les temps, reposait sur la promesse d’un triptyque spécial qui a su se faire attendre depuis le départ du duo Chris Chibnall-Jodie Whitaker.

D’emblée, les soixante ans de Doctor Who s’inscrivaient dans une logique de marché arrière pour le moins brutale : Russel T. Davies (a.k.a. RTD), celui-là même qui avait ressuscité le programme, revenait en effet à la barre en temps que showrunner et son fidèle acolyte, David Tennant, prêtait de nouveaux ses traits à l’extra-terrestre à la surprise générale. Catherine Tate reprenait même le rôle qu’elle avait laissé amnésique en 2008, c’est dire ! De primes abords, tout laissait à croire qu’il s’agissait d’un retour aux sources salvateur et Dieu sait que le show en avait besoin pour relancer sa popularité après plusieurs saisons compliquées…

Seulement voilà, on a très vite la fâcheuse impression que RTD s’est contenté à reprendre l’histoire là où il l’avait laissé, comme si les ères Steven Moffat et Chris Chibnall n’avaient jamais eu lieu. En effet, les références à ces dernières s’y font rares et sont tout au plus effleurées pour nous faire comprendre que, malgré les apparences, ces nouveaux épisodes ne viennent pas écraser ce qui a été fait précédemment. Pire encore, il a été fait le choix de passer par le média du comics pour faire le lien entre le dernier épisode de Jodie Whitaker et le premier épisode « anniversaire ».

Alors oui, il y a lieu ici de préciser que Ncuti Gatwa, qui était censé prendre la relève, a eu une année chargée et n’avait pas pu se rendre disponible pour prendre les commandes du Tardis dans les temps. De surcroît, RTD n’avait donc pas d’autres choix que de trouver une solution pour ne pas manquer le rendez-vous. Pour ce qui est du recours au comics, on peut mettre en lien ce choix avec l’arrivé de la série sur Disney+ qui lui permet de toucher un public plus large. Cela implique de repartir sur de « bonnes bases », avec un premier épisode qui ne doit pas perdre le spectateur qui se laisse tenté, et qui pourrait être assimilé à un soft reboot, ce qui rejoint ce qui a été évoqué précédemment. Des pincettes sont donc de mises.

Cela étant rappelé, on aurait presque, malgré tout, préféré faire l’impasse sur ces trois épisodes tant ils constituent une rampe de lancement branlante pour la suite…

Outre le fait qu’ils soient autocentrés sur une période bien précise de la série, les enjeux y sont si mineurs qu’ils apparaissent anecdotiques malgré leur gravité (ou devrait-on dire « mavité » ? Pas que cela soit d’une grande importance non plus…). Qu’il s’agisse de Londres qui soit sur le point d’être éventré, un Tardis flambant neuf hors de contrôle qui explose de partout après que du café ait été « malencontreusement » renversé sur sa console, un mauvais choix qui aurait dû briser la plus solide des amitiés ou encore les gens qui deviennent complètement fous et violents partout à travers le monde (soit disant), rien ne semble avoir de conséquence et la moindre situation catastrophe donne lieu à des résolutions ex machina risibles. C’en est même allé jusqu’au point où les événements relatés dans les deux épisodes se passant sur notre bonne vieille planète bleue semblent ne concerner que quelques quartiers de la capitale anglaise. Il est d’ailleurs particulièrement regrettable de ne pas avoir su tirer davantage profit du Toymaker, un antagoniste réputé pouvoir altérer la réalité, qui faisait son grand retour après des années d’absence et dont le potentiel aurait pu être largement étendu à cette occasion afin de remédier aux nombreuses facilités que comptent ces specials. Malheureusement, RTD a préféré lui faire faire un musical et jouer à la balle…

Avant de s'attarder sur The Giggle, revenons brièvement sur The Star Beast qui s’est révélé être un désastre complet. Entre un scénario qui repose sur un plot twist sans surprise, des introductions de personnages et des retrouvailles qui tombent comme des cheveux dans la soupe, un sonic screwdriver bien trop amélioré et un discours girl power totalement raté, cet épisode d’ouverture ne cessait d’interloquer au fur et à mesure qu’il progressait et ce jusqu’aux dernières minutes, au cours desquelles RTD est même allé jusqu’à sacrifier sur l’autel la conclusion de l’arc de Donna Noble... Wild Blue Yonder est venu rehausser un peu le niveau malgré des effets spéciaux douteux et une plus-value ultra limitée. Si cet épisode profite d’une ambiance creepy bien maîtrisée, on ne peut que s’interroger quant au choix d’avoir fait de cette histoire une partie intégrante d’un ensemble d’épisodes car elle apparaît comme une sorte de ventre mou dans l’espace mais elle a le mérite de bien se tenir sur les quelques quarantaine de minutes qui lui sont accordées, à la différence des deux autres.

Car oui, The Giggle n’est pas non plus épargné malgré une première partie des plus prometteuses, laquelle nous réintroduisait le Toymaker qui s’annonçait comme un antagoniste de taille, notamment le temps d’une séquence cauchemardesque et labyrinthique très réussie. Malheureusement, l'antagoniste céleste est rapidement mis en boîte, littéralement, et la galerie de personnages secondaires passe à la trappe. Seul le solaire et charismatique Ncuti Gatwa parvient, comme il peut, à se faire une place dans cette mélasse, dont il se dépêtre dare-dare pour prendre ses distances et son envol.

En prenant du recul, la principale faiblesse de ce triptyque est certainement d’avoir appelé David Tennant à la rescousse et de l’avoir remis sur le devant de la scène de cette manière : l’idée de voir le Doctor reprendre l’un de ses anciens visages pour se faire passer un message, comme il l’avait déjà un peu fait, il n’y a pas si longtemps, avec la géniale incarnation de Peter Capaldi, était appropriée compte tenu du contexte rappelé plus haut mais encore fallait-il en faire quelque chose qui se tienne au niveau du scénario... A l’instar des références aux ères précédentes, les explications sont effleurées du bout des doigts, si bien qu'on pourrait aller jusqu’à avancer que le Doctor avait conscience que la série avait perdu de sa superbe et s’était tourné vers un visage familier pour changer la donne : le Seigneur du Temps serait-il devenu le Deadpool de la BBC ? De là à parler de complot tramé par Mickey, il n’y a qu’un pas.

Blague à part, la solution miracle s’est finalement avérée malvenue car ses tenants peinent à convaincre en termes de cohérence et, pour arranger le tout, débouche sur une sortie arrangeante et déjà-vu pour le Tom Baker de la New Who. De même, la bi-generation a permis à RTD de nous offrir un épisode multi-Doctors inattendu (au détriment de la cohérence, décidément…) mais, là encore, la présence de Tennant éclipse l’arrivée de Ncuti Gatwa… qui fait ses premiers pas dans les sous-vêtements du premier ! On en est à redouter l’annonce d’un spin-off sur l’alien amateur de converse qui prend sa retraite sur Terre… Au fond, il aurait sans doute été préférable de raconter de nouvelles histoires avec la dixième incarnation du personnage qui se passeraient durant la quatrième saison (surtout que cette nouvelle personnification lui est bien trop ressemblante, ce qui remet en cause sa pertinence)...

Pour sûr, on repensera désormais avec une nostalgie décuplée à l’épisode The Day of the Doctor, sorti dix ans plus tôt, qui était, certes, loin d’être sans défaut mais qui célébrait véritablement la série dans son ensemble et lui donnait, dans le même temps, une impulsion. En prime, Moffat avait su garder une carte bien cachée dans sa manche avec The Night of the Doctor, un épisode de quelques minutes diffusé la veille de la date anniversaire, qui permettait de réhabiliter le Doctor de Paul McGann et de faire le lien avec le film de 1996. En comparaison, même le dernier épisode signé par Chibnall, The Power of the Doctor, était plus satisfaisant sous ce prisme que ce que nous a proposé RTD.

Sorte de parenthèse qui se doit d’être rapidement oubliée, ce triptyque fût, dans l’ensemble, éprouvant, et ce quand bien même on apprécie la première ère de RTD… Fort heureusement, Ncuti Gatwa s’annonce comme un choix prometteur et il nous tarde d’en voir davantage !

The Star Beast : 3/10

Wild Blue Yonder : 5/10

The Giggle : 5/10

vic-cobb
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le 26 déc. 2023

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