SensCritique a changé. On vous dit tout ici.

Lars von Trier, on aime ou on n'aime pas. Le réalisateur danois fait partie des rares désireux de s'extirper à tout prix d'une certaine conformité afin de faire parler leur extrême singularité, les situant au summum de la controverse. Avec un univers à la fois complexe, sombre et un brin provocateur, il est d'autant plus clair qu'une telle prestance cinématographique ne peut pas s'adresser à tous et crée à juste titre un bon nombre de détracteurs. A l'instar des super-productions formatées et abusives en effets spéciaux, le fondateur du film dogmatique se différencie de par son vœu de revenir à une sobriété plus expressive, plus authentique, donc plus apte à exprimer les émotions et les enjeux artistiques contemporains.

Avec Dogville, Lars von Trier ne peut pas être plus clair. Constituer un décor des plus minimalistes en installant quelques meubles ici et là au beau milieu d'une scène, et tracer au sol des lignes à la craie dans le but de simuler des situations, c'est du jamais vu. D'ailleurs, il y a de quoi être effaré à l'idée de voir inscrit au sol "groseillier" ou "chien" pour dire qu'à ces endroits, il y a un groseillier et un chien, tout comme ces portes imaginaires que les acteurs font semblant d'ouvrir et de fermer, avec le bruitage représentatif. En clair, il ne faut même pas deux secondes pour comprendre que Lars von Trier excelle dans son genre et cloue le bec à tous en s'inspirant de divers concepts théâtraux pour livrer une chronique à rallonge.

A l'inverse, le décor étant minimaliste au possible, le casting, lui, est très remarqué. Le spectateur assiste à l'arrivée d'une femme dans la petite ville de Dogville et accueillie par une troupe d'environ dix personnes, dix archétypes distincts, allégories de l'identité de cette bourgade. Grâce à son décor, le réalisateur laisse liberté totale à ses stars. Nicole Kidman, toute en douceur et fragilité, règne en reine et livre une prestation fascinante de complexité et de naïveté. Cette fois-ci, Lars von Trier ne mise pas sur des prestations lyriques exhibitionnistes et extrapolées. Nous sommes bien loin des hurlements de Björk ou de la déchéance progressive d'Emily Watson. Non, le réalisateur favorise cette fois la subtilité et le sous-entendu, afin de bâtir une interprétation propre au spectateur et susciter une véritable empathie envers le principal protagoniste. Là est l'authentique force de Dogville.

Maintenir l'attention du spectateur pendant environ trois heures avec, visuellement, le strict minimum est un challenge fort délicat tant il ne concerne qu'une infime partie de personnes. Mais il serait fort inadéquat de discréditer l'ambition folle de Lars von Trier tant son film fait part d'originalité. Le réalisateur livre une chronique sociologique avant-gardiste, au propos d'une rare puissance sur l'atrocité de l'Homme. Expérimental et abstrait, Dogville est unique et fait partie de ces œuvres auxquelles le ressenti du spectateur ne peut se partager et s'identifier tant il lui est propre. La longueur du film peut s'avérer difficile à supporter mais je garantis que le ressenti final est digne d'un grand chef d'œuvre du septième art. D'ailleurs, nul ne pourra cacher une certaine déplaisance à l'idée de ne pouvoir rédiger correctement son ressenti tant il envahit l'esprit.

Créée

le 2 déc. 2014

Critique lue 886 fois

langpier

Écrit par

Critique lue 886 fois

24
15

D'autres avis sur Dogville

Dogville

Dogville

le 18 août 2011

Amazing Grace

Lars von Trier raconte l'Opéra de quatt'sous avec la voix off de Barry Lyndon et les chapitres de Winnie l'Ourson, et ça donne Dogville, film intéressant, parfois, mais pas complètement, hélas. Sous...

Dogville

Dogville

le 19 mai 2018

And Grace my fears relieved

Mettre des mots sur ce film pourrait paraître presque indécent. Puisque les mots ne se pansent point, et les maux ne se pensent pas. Ou peut-être que si en fin de compte. Nos maux sont à chaque...

Dogville

Dogville

le 11 août 2014

La chienne et les pommes.

Il est de ces soirs où l'on ressent l'irrépressible besoin de se faire du mal sous prétexte de se cultiver. Un peu désœuvré, cherchant des excuses pour ne pas travailler sérieusement à des sujets...

Du même critique

Black Panther

Black Panther

le 16 févr. 2018

Je suis ? Je suis ? Euh... Bagheera ?

Le Marvel Cinematic Universe s'est empli d'une sacrée flopée de films depuis si peu d'années. Avec un rythme de deux ou trois sorties par an, la franchise ne fait pas dans la dentelle et parvient...

Enfant 44

Enfant 44

le 18 avr. 2015

Immersion singulière

2015 voit sortir ce Enfant 44, adaptation du roman éponyme de Tom Rob Smith, sorti en 2008. Un certain Daniel Espinosa, connu sans être vraiment reconnu pour son travail, s'est vu confier la...

Noé

Noé

le 11 avr. 2014

En toute constance

Noé traîne derrière lui cette image de blockbuster hollywoodien dont les seules fins sont de faire du commerce et de remplir les caisses. Certes, il s'agit d'un film d'aventures à grand spectacle...