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Nouveau passage du côté du catalogue Netflix qui, décidément, propose des choses intéressantes en cette fin d’année. La sortie de Dolemite is my name a été peu médiatisée, en dépit du retour, après une longue absence, d’Eddie Murphy. Mais, pourtant, voilà un film intéressant et symbolique, à bien des égards.


Rudy Ray Moore travaille dans un magasin de disques, et il vit chichement. Il est également celui qui annonce le groupe de musique de l’un de ses amis dans un bar de nuit, en tentant toujours de raconter quelques blagues et de faire rire le public, sans jamais y parvenir. Il a de l’envie, il a des rêves, il y croit dur comme fer mais, en l’état, rien ne le prédispose à la réussite, et tout le monde lui ferme la porte au nez. Mais une rencontre hasardeuse va lui offrir l’opportunité de sa vie. Il crée le personnage de Dolemite, un proxénète exubérant, qui déclame des proses souvent osées, en rimes, qui obtiennent aussitôt un succès inattendu auprès d’un public qui l’ignorait deux jours avant. Il peut désormais devenir un artiste reconnu, associant la musique et l’humour, ses deux grandes passions, grâce à ce personnage qui le galvanise.


Il est intéressant de voir un acteur comme Eddie Murphy camper le rôle de Rudy « Dolemite » Ray Moore. Tout d’abord, dans Dolemite is my name, nous assistons à la renaissance conjointe du personnage de Rudy Ray Moore et de l’acteur Eddie Murphy. En effet, l’acteur, figure emblématique des comédies américaines des années 90, s’était effacé depuis plusieurs années. Ici, il revient au premier plan. Ce qui permet d’établir une autre connexion entre l’acteur et le personnage : cette image d’un homme qui se transfigure sous la peau d’un personnage extraverti, drôle et adulé, mais qui, en réalité, est bien plus réservé et humble. Dolemite is my name offre un rôle taillé pour Eddie Murphy, qui livre une prestation complète, entre la folie du personnage de Dolemite, et la simplicité, l’envie et l’entrain de Rudy Ray Moore.


Rudy Ray Moore est un homme dont on entend peu parler par chez nous, mais qui a eu une influence majeure au sein de la communauté afro-américaine. Considéré comme le parrain de la hip-hop, il est ici décrit comme un homme visionnaire, qui galvanise une communauté bien trop souvent délaissée. Un constat est fait lorsque Rudy et ses amis vont assister à une séance de Spéciale Première de Billy Wilder. Dans le public, majoritairement blanc et aisé, les gens rient, mais pas eux. Ils ne comprennent pas l’humour d’un film qui semble dépassé et qui semble, surtout, répondre aux canons d’une société qui ne les considère pas.


Le producteur de Dimension Films, autre personnage du film, dira par ailleurs, que la population blanche a quitté le centre-ville pour la banlieue, autre facteur qui illustre cette distanciation entre la culture afro-américaine et une culture bourgeoise blanche, ancrée dans les mêmes codes depuis les années, dominante dans son retentissement, mais excluant une large partie de la population. Le film traite ainsi intelligemment de l’émergence de cette « contre-culture », de cet artisanat et de cet art sincère mis au service des classes populaires afro-américaines, toujours délaissées au profit d’une culture dominée par une classe bourgeoise blanche et éloignée de la réalité.


Dolemite is my name est une célébration de l’émancipation, que ce soit celle de Rudy Ray Moore en tant que Dolemite, de Lady Reed en tant que femme qui n’entre pas dans les canons de beauté standards et qui trouve enfin sa place, ou, plus généralement, de la communauté afro-américaine qui trouve un porte-étendard à l’époque de la Blaxploitation, qui coïncide avec cette volonté de s’affirmer au sein d’une société exclusive depuis bien trop longtemps. La fabrication du film Dolemite, faite de bricolages et de débrouillardise mais, surtout, d’envie, guidée par une vision, est symbolique de cette lutte et de cette ferveur qui accompagnent cette émancipation. Et peu importe le résultat, même s’il est médiocre d’un point de vue cinématographique, il s’apparente avant tout à un cri du cœur.


Triste ironie, Dolemite is my name n’est sorti que sur Netflix. C’est en tout cas un retour en état de grâce pour Eddie Murphy, qui trouve ici un très beau rôle qu’il tient à merveille, et les différentes nominations qu’il a obtenues (notamment aux Golden Globes) en témoignent. C’est aussi l’occasion de retrouver Wesley Snipes, qui cabotine ici joyeusement dans le rôle de D’Urville Martin. Peut-être que Dolemite is my name n’a pas fait grand bruit, mais il mérite pleinement que vous vous y attardiez.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 14 déc. 2019

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