Un mort, un mystère, une enquête en flash-back, un homme puissant au centre de toutes les attentions, Mr. Arkadin ressemble à s'y méprendre au film le plus célèbre de son auteur, le mythique Citizen Kane ! Welles, alors exilé en Europe, se lance en effet dans une revisite de son propre film pour confectionner une sorte de conte moderne, cynique et grandiloquent, dans lequel il se donne le mauvais rôle, celui de l'ogre, du monstre, celui de l'énigmatique monsieur Arkadin qu'il nous invite à découvrir l'histoire.
Dès le préambule, il annonce la couleur et présente son récit comme imaginaire ou fictif. La traditionnelle formule " il était une fois ", symbolisée par le jeu des flashbacks, est prononcée à demi-mot par le narrateur/héros, Guy van Stratten, lorsqu'il se met à conter son histoire au personnage incarné par Akim Tamiroff. On embarque ainsi pour un voyage étrange qui nous conduit au cœur d'une Europe fantasmée, à la rencontre d'un être mythique, le dénommé Arkadin. C'est une sorte de roi tout-puissant, craint et admiré, qui règne sans partage sur un empire immense. Welles se donne d'ailleurs beaucoup de mal pour exalter la dimension surréaliste du personnage en le présentant comme un ogre imposant, à l'apparence méphistophélique, intervenant ou apparaissant subitement, tel un diable sortant de sa boîte ! Le décor et les autres personnages sont également empreints de théâtralité et viennent parachever l'univers du conte : château, princesse captive, prince presque charmant, royaume imaginaire et démesuré, fête carnavalesque...
Mais toute cette "mascarade" (c'était d'ailleurs le titre voulu initialement par Welles) n'est bien évidemment pas gratuite : le jeu de piste suivi par van Stratten va permettre au cinéaste de faire tomber les masques et dénoncer les impostures qui prolifèrent tranquillement depuis la fin de la guerre. Car si Arkadin est l'incarnation du personnage véreux qui s'est construit une image de respectabilité à coup de liasse de billets, il n'est finalement que le rejeton d'un monde qui marche sur la tête ; un univers, hypocrite et corrompu, où l'argent permet tout et légitime les pires excès comme les pires folies !
Seulement, si l'exercice de style est osé et impertinent, on ne peut pas dire que l'on sort de Mr. Arkadin totalement enthousiasmé par ce que l'on vient de voir. En tout cas, personnellement, le film m'avait laissé sur une impression mitigée lorsque je l'ai regardé la première fois et le nouveau visionnage n'a rien changé à la donne. S'il y a du bon dans le film de Welles, et notamment l'ambiance surréaliste qui est assez prenante, il me faut bien reconnaître que les afféteries de style (les plans obliques à la The Third Man par exemple), l'intrigue inutilement nébuleuse et l'interprétation que je qualifierais gentiment d'inégale (Robert Arden et Paola Mori sont d'une telle fadasserie !), m'ont progressivement lassé. Sans atteindre le niveau des principales œuvres du cinéaste, Mr. Arkadin reste toutefois une belle curiosité ; à voir au moins pour l'interprétation du grand Orson.