En 1984, le slasher était en plein essor. Des films comme Halloween ou Vendredi 13 avaient lancé une mode quelques années plus tôt, et en étaient alors à leur 3ème et 4ème épisode respectivement.
Pourtant, cette année-là, un film a suscité la colère d’associations et de nombreux parents indignés. Il s’agit de Douce nuit, sanglante nuit, qui est allé plus loin que les autres films d’horreur à cette époque en prenant pour tueur un père Noël armé d’une hache. Une image qui a déplu à des personnes craignant que leurs enfants ne voient plus papa Noël de la même façon.
Ce n’est pourtant pas la première fois que le célèbre barbu servait de méchant dans un film, il y avait eu To all a goodnight et Christmas evil, mais la différence est que ceux-ci étaient passés inaperçus, alors que Douce nuit sanglante nuit a bénéficié d’une large distribution en salles de la part de la firme TriStar.
Selon moi, c’est en raison de cela que le film s’est fait remarquer et a été injustement pris comme bouc-émissaire, notamment par les fameux critiques de cinéma Siskel et Ebert, qui se sont enflammés dans leur émission de TV.
Ce slasher avait néanmoins fait un bon début en salles ; pendant sa première semaine il avait même dépassé Les griffes de la nuit, apparu en même temps. Mais deux semaines après sa sortie, Douce nuit sanglante nuit, en raison de manifestations à son encontre, fut retiré des salles.

C’est un scandale que le réalisateur Charles E. Sellier Jr. dit ne pas avoir vu venir. Lui était seulement intéressé par l’histoire du traumatisme subi par le personnage principal, et non tant par l’aspect horrifique du film.
L’histoire est celle de Billy, un type qui n’a vraiment pas de chance : le soir du 25 décembre, alors qu’il n’a que 5 ans, il voit ses parents tués et sa mère violée par un criminel en costume de Père Noël. Billy se retrouve dans un orphelinat, où, toujours hanté par ses souvenirs, il subit les punitions de la mère supérieure plus qu’il n’en reçoit l’aide.
Une fois qu’il a atteint la majorité, Billy travaille dans un magasin de jouets dont le patron, durant les fêtes, lui demande de porter un costume de père Noël devant les clients.
Il ne manque plus qu’un incident de plus pour que le pauvre Billy ne pète les plombs et ne se lance dans un massacre.

Dans une interview en bonus du DVD américain, Sellier Jr. dit qu’il était inconscient des conséquences possibles de ce qu’il faisait en réalisant ce film. Il pensait uniquement à ce qui servirait son histoire, celle d’un enfant torturé psychologiquement et poussé à bout, et selon lui, c’est cela qui justifie la violence poussée du film.
Et en effet, l’exploration psychologique de Billy, avant que le scénario n’en fasse juste un serial killer qui décime la population en répétant "punish ! punish !", est plutôt intéressante, même si le film manque par moments de subtilité, dans les propos à double-sens très insistants censés pousser Billy vers la folie.

Lorsque j’ai vu le film pour la première fois, j’ai cru que les intentions du réalisateur étaient simplement de faire une œuvre subversive, surtout vu le traitement réservé aux nonnes, mais il s’avère que Charles E. Sellier Jr. est chrétien, et que jusqu’à son décès en 2011 (RIP), il a produit de nombreux téléfilms basés sur la Bible.
Du coup, je ne peux douter des intentions que le réalisateur prétend avoir eues lorsqu’il a fait ce film, d’autant plus qu’il n’était jusque là que peu passé à la mise en scène. S’il l’a fait cette fois-ci, l’une des raisons est sûrement qu’il voyait quelque chose de particulier en ce projet.
Et pourtant dans Douce nuit sanglante nuit, malgré une once d’étude psychologique, on n’est jamais loin du sadisme.
C’est le cas déjà lorsqu’on s’intéresse au début du film aux peurs infantiles : Billy se retrouve confronté à un vieillard creepy qui s’amuse à l’effrayer, et d’ailleurs nous aussi on en tire un amusement fou, tant le grand-père du garçon cabotine génialement. Le vieil homme assure à Billy que le père Noël punit les enfants pas sages ("naughty" en VO), alors que ses parents l’avaient juste prévenu en disant qu’il n’amène pas de cadeaux aux bambins s’ils ont été méchants.
Les parents essayent alors de rassurer l’enfant en niant que le père Noël punit les mauvais garçons. En leur donnant tort plus tard, d’une certaine façon le film en revient à la tradition en réinstaurant la figure du père Fouettard normalement associée à celle du père Noël.
En réalité, la violence et l’horreur est déjà présente, à petite dose, dans le folklore. Le film joue sur l’ambigüité de certaines chansons de Noël : "Santa’s watching, santa’s creeping (…) Santa knows if you’ve been bad". Quand on y pense, c’est sacrément inquiétant, d’imaginer un homme qui vous surveille en permanence et sait si vous avez été bon ou mauvais.
Pas étonnant qu’un gosse puisse craindre le père Noël.
Dès la séquence d’introduction on lit de l’inquiétude dans le regard de l’enfant, qui semble en permanence en proie à une grande anxiété, sans raison précise ; mais il s’efforce de sourire quand sa maman lui assure que le père Noël lui réserve une grande surprise ce soir. Le jeu du jeune acteur est très bon, et cette dualité dans son expression est annonciatrice des évènements à venir.
Le film exploite aussi la part d’horreur déjà présente dans certains éléments en rapport à la fête de Noël quand le montage met en parallèle les cris d’une femme avec des plans de casse-noisettes la gueule grande ouverte, leurs dents et gencives bien en évidence, ce qui leur donne un air presque menaçant.

Après la mort de ses parents, Billy est à nouveau "puni" quand, à l’orphelinat, il dessine un père Noël en sang ; malgré les contestations d’une des nonnes, la mère supérieure réprimande l’enfant en espérant que ça le remettra sur le droit chemin, plutôt que de chercher à l’aider.
Le réalisateur, étant donné ses croyances religieuses, explique qu’il voulait simplement montrer ce qui pouvait arriver quand un enfant déjà déstabilisé ne reçoit pas l’aide nécessaire, mais il me paraît surprenant qu’il n’ait pas pensé que n’importe quel spectateur puisse voir un message à l’encontre de la religion dans son film.
A cause du viol de sa mère, Billy associe le sexe au mal et à la violence ; une idée renforcée par l’enseignement religieux rigoureux et d’une radicalité extrême de la mère supérieure. Elle lui apprend que le châtiment est absolu, que tout acte "naughty" est inévitablement puni.
En voulant qu’il s’en tienne des règles très strictes censées faire qu’il se conduise bien, la religieuse condamne Billy à cause d’un manque de discernement dans la vision du monde qu’elle lui impose.
Ce que Billy fera plus tard en tuant les gens qui ont été "méchants", ce qui peut désigner simplement les gens qui copulent (une vision du monde qui rappelle de façon amusante celle de Jason Voorhees), peut être vu comme une application stricte de ce qu’il a retenu d’un apprentissage religieux très tordu.
C’est étrange que le réalisateur ne se soit pas rendu compte qu’il se tirait une balle dans le pied, tout comme il est étonnant de voir qu’il n’hésite pas à offrir aux spectateurs du sexe et du gore, et du sadisme réjouissant (cf la scène où la police se trompe de père Noël).

Et Douce nuit sanglante nuit ne se repose pas uniquement sur son principe du père Noël tueur en espérant que cette idée-choc suffira à attirer les spectateurs, car le film fait preuve lors de ses scènes de meurtre d’une inventivité qui, plus globalement, en fait un très bon slasher.
Il faut voir le film en version uncut évidemment, pour profiter de tout le gore, notamment lors de la mort de la jolie Linnea Quigley, comme toujours topless, mais qui se distingue ici par le port d’un short en jean très court.
Là encore, le réalisateur, malgré son manque d’intérêt pour le slasher, d’après ce qu’il a pu dire en interview, se montre conscient du fun que peut procurer la violence au cinéma. La scène la plus drôle est celle où Billy fait preuve d’une méchanceté purement gratuite envers… un bonhomme de neige.
Et Sellier Jr. a beau n’avoir dirigé que peu de long-métrages de fiction, il fait preuve ici d’une bonne réalisation, notamment dans les scènes de suspense.

Douce nuit sanglante nuit a une bonne réputation aux Etats-Unis, où 4 suites toutes très mauvaises ont vu le jour, mais il reste assez peu connu en France, où seule la version cinéma censurée est disponible en DVD d’ailleurs. C’est dommage, car c’est un slasher très divertissant, et loin d’être aussi bête qu’il n’y paraît.
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le 14 déc. 2010

Modifiée

le 26 mars 2013

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Wykydtron IV

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