Il va m'être difficile d'être objectif pour parler de "Douleur et Gloire", et je préfère donc ne pas me livrer à un exercice critique selon les canons du genre. En effet, j'étais en larmes dès les 5 premières minutes du film, avec cette scène sublime des lavandières (et avec Penélope, la toujours divine Penélope Cruz !), une scène enjolivée par la mémoire incertaine d'un enfant, ou plutôt, comme on le découvre à la toute fin du film, par le travail du metteur en scène, mais qui invoque le meilleur de la culture espagnole. Et j'ai craqué à de nombreuses reprises, quand Almodóvar déploie comme souvent son Art absolu du mélodrame, avec toutefois une finesse et une justesse émotionnelle qui nous fait accepter les ficelles d'un scénario bien accommodant quand il s'agit de décliner tous les thèmes du bilan d'une vie : pardonner à ses amis avec lesquels on s'est brouillé pour des raisons qui paraissent désormais ridicules, retrouver un grand amour et constater que, si l'on ne vieillira pas ensemble, au moins le souvenir de la passion n'est pas vain, accepter finalement qu'on a déçu sa mère et qu'on n'aura jamais réussi à répondre à ses attentes, et surtout, surtout, dans une dernière partie vraiment réussie, retrouver le souvenir du premier désir, conjuguant fièvre (l'insolation, facile à blâmer…), sensualité, beauté et… découverte du geste artistique.


En mélangeant habilement ses propres souvenirs avec la vie fictive d'un réalisateur qui n'est pas tout-à-fait lui-même, en offrant à Banderas, qu'on n'a jamais vu aussi sensible, blessé, ce qui restera sans doute le rôle de sa vie, en parlant aussi frontalement de la douleur physique qui annonce l'approche de la vieillesse, un sujet bien peu traité au cinéma (un sujet qui certes n'attirera guère un public jeune...), Almodóvar réalise non pas un film testamentaire, puisqu'à la fin, le désir de créer revient, l'Art retrouve son sens, et le cinéaste retourne au boulot, mais un magnifique film "de rebond" : faire le bilan, pas folichon, d'une vie est avant tout l'occasion de repartir vers l'avant. Peut-être même d'être un peu plus vivant, parce que (partiellement) libéré de ces culpabilités, de ces regrets et de ces remords qui ont peu à peu grippé la machine du corps, bloqué les os et vrillé le cerveau.


La dernière scène, magnifique dans son maniérisme, dévoile tout l'aspect "méta" du film que nous venons de voir, et confirme que derrière ses oripeaux de confession et d'auto-biographie, "Douleur et Gloire" était en fait un pur geste d'auteur.


Almodóvar est toujours vivant, et c'est bien la meilleure nouvelle de ce film brillant.


[Critique écrite en 2019]

EricDebarnot
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2019

Créée

le 25 mai 2019

Critique lue 3K fois

57 j'aime

6 commentaires

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 3K fois

57
6

D'autres avis sur Douleur et Gloire

Douleur et Gloire
EricDebarnot
8

Le premier désir

Il va m'être difficile d'être objectif pour parler de "Douleur et Gloire", et je préfère donc ne pas me livrer à un exercice critique selon les canons du genre. En effet, j'étais en larmes dès les 5...

le 25 mai 2019

57 j'aime

6

Douleur et Gloire
Multipla_Zürn
8

Critique de Douleur et Gloire par Multipla_Zürn

On pourrait penser que le cinéma d'Almodovar est profondément animé par la question du théâtre. Mais ce qui l'intéresse avant tout, c'est le contre-champ vivant qu'une scène propose : la salle. Le...

le 19 mai 2019

34 j'aime

Douleur et Gloire
Moizi
8

Comédie ou drame ? pas besoin de choisir

Almodovar nous livre là, encore une fois, un film absolument magnifique et qui a été logiquement récompensé à Cannes (enfin son acteur principal l'a été). Ici il y a tout ce que j'aime chez...

le 10 juil. 2019

24 j'aime

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

204 j'aime

150

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

190 j'aime

104

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

184 j'aime

25