L'antihéros que nous propose Down in the Valley, est un personnage attachant, minable et terrifiant. D'où la coexistence d'émotions plus ou moins contradictoires, ce qui m'évoque forcément Beckett, et notamment Fin de Partie.
Les personnages de Beckett ont des problèmes de mobilité et/ou de placement, ils sont d'une incohérence relevant d'un humour sombre : elles touchent au grotesque, en soulevant des malaises existentiels. Tout ça s'applique parfaitement au personnage incarné par Norton. Sa chambre est un "théâtre", un laboratoire de personnalités qui donne lieu à des scènes assez ridicules : Harlan se croyant dans un Western, improvisant des répliques mal tournées, ressasant des dialogues "Vous êtes dans quoi ? ...mais j'suis un cowboy moi !" (sans compter que le décalage culturel France/Amérique nous rend la chose encore plus surréaliste) et pourtant on ne rit pas. On ne rit pas parce que sa fragilité, le pressentiment du père et la gêne de Tobe nous ont déjà mis sur la piste : c'est bien plus qu'un jeu, c'est sa vie. Ce qui aurait pu paraître une innocente preuve d'immaturité, s'avère être une crise identitaire des plus tragiques, parce que sans issue. Le décalage entre les lettres écrites à ses proches, et lues en voix-off avec la désinvolture de Lucky Luke, pourrait être drôle s'il ne mettait pas en évidence l'immense frustration ressentie par Harlan face à l'existence qu'il mène. D'ailleurs il est tellement seul qu'on peut se demander s'il envoie réellement ses lettres à quiconque, s'il les envoie au hasard ou s'il les envoie tout court. La maison qu'il fracture, par exemple, et dans laquelle il laisse un mot à l'intention de "Joe", son père, a été prise au hasard dans une banlieue type. Il y a donc un refus de la réalité, qui se voit jusque dans la géographie : Harlan s'est installé dans un état où il se trouve peu de ranch, en réalité, il ne veut pas être un cowboy, mais LE cowboy, tel qu'il est dans l'imaginaire collectif.
Bref, un réflexion profonde sur le Moi, le Qui suis-je, et d'autant plus grinçante qu'on se reconnaît dans la recherche de la phrase percutante qui tombe à l'eau, dans l'envie de faire bonne impression..

Des personnages en général très bien construits (hormis Tobe finalement). Les relations père-fils sont clairement mais subtilement posées. Un rejet du manichéisme rare et parfaitement réussi.
Anahane
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le 11 nov. 2011

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Anahane

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