--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au douzième épisode de la sixième saison. Si tu veux reprendre la série à sa saison 1, le sommaire est ici :
https://www.senscritique.com/liste/Vampire_s_new_groove/1407163
Et si tu préfère juste le sommaire de la saison en cours, il est là :
https://www.senscritique.com/liste/The_Invisibles/2413896
Et si tu ne veux rien de tout ça, je m'excuse pour les parties narratives de cette critique qui te sembleront bien inutiles...---


J'ai toujours été team Forum des Images. Ils y ont l'ouverture d'esprit et le rock'n roll que n'ont pas ces guindés élitistes de la Cinémathèque Française (nom complet uniquement, à prononcer avec le même accent snob que dans « Jean-Luc Godââârd »).N'empêche que pour le coup, le Forum perd des points. Certes leur approche (revisiter les pages d'une revue underground des années 60) est bien plus original que celle qu'avait eu la Cinémathèque (choisir un monstre pour en faire le personnage récurent d'un cycle à thème, franchement qui fait ça ? …). Mais du reste, deux choses : premièrement faire ce cycle de cinéma d'épouvante exactement deux ans (mais que valent deux ans quand le temps à été gelé par une pandémie?) après celui de la Cinémathèque, c'est tendre le bâton pour se faire taxer de plagia (et même moi qui ne suis clairement pas impartiale, je trouve la démarche un peu douteuse). Deuxièmement, la Cinémathèque avait eu la décence de situer son cycle autour d'Halloween, ce qui arrangeait mon mois-monstre d'une part, et servait surtout complètement l'ambiance d'autre part. Je ne sais pas qui au Forum des Images a eu l'idée bête de positionner le cycle en encadrement de Noël, mais vraiment ça fait tâche. 
Mais pourquoi est-ce qu'elle raconte tout ça ? Eh bien parce que décidément, le mois-monstre cette année est une monstruosité lui-même. Sa taille gargantuesque excède largement sa durée d'un mois, et son rythme de visionnage est aussi arythmique que les battements cardiaques de la créature de Frankenstein. Surtout, le monstre originellement à l'honneur a si bien joué son rôle qu'il a disparu du cycle. De l'homme invisible, il ne reste plus qu'un concept, un angle de lecture parfois, une philosophie à d'autres occasions, et parfois simplement ce qui le représente le mieux : rien. Je n'ai pas besoin d'un seul monstre pour parler d'invisibilité, il me les faut tous. Je vais continuer mes critiques de Harry Potter bien-sûr, mais justifier ces critiques par la cape d'invisibilité n'a plus aucun sens. L'univers de J.K. Rowling est un bestiaire presque complet, qui convoque dans son casting les plus grand noms de l'épouvante : vampire, loup-garou, goules, etc. Et surtout, je vais bondir sur ce cycle magnifique que nous concocte le Forum Des Images, pour aller rencontrer à nouveaux en salle obscur les monstres plus ou moins récents du cinéma d'épouvante.
Et la dernière information pour clore cette immense divagation introductive, celle qui va prouver que je n'ai pas encore plongé entièrement dans la folie et que tout ceci avait un sens : ledit cycle « Midi-Minuit Fantastique » instigué par le Forum des Images s'ouvrait ce-soir, en compagnie du Docteur Jekyll et de sa sœur maléfique. Il se trouve que les seules autres situations qui m'ont confrontée au docteur à la schizophrénie physique (hormis les films choraux de monstres qui ne développent jamais aucun d'entre eux suffisamment pour apprendre à les connaître intimement), c'était dans Hulk.
Je ne vais donc pas m'amuser à débattre une quelconque fidélité à l’œuvre d'origine ou aux précédentes adaptations. Cependant, et bien que je n'ai pas vu la première adaptation du roman qu'ai fait le studio, je peux commencer à me targuer d'un petit bagage de film Hammer déjà visionnés. Et pourtant chaque film me laisse immanquablement cet air ahuri en début de film d'en redécouvrir l'esthétique singulière, et cet émerveillement en fin de film d'avoir su si habilement habiller une histoire d'horreur de gothisme, d'ombres et de contrastes. Ici encore, l'action se déroule dans un Londres victorien cauchemardesque, nocturne et brumeux. Les décors mettent l'accent sur des ruelles labyrinthiques presque hallucinatoires, et sur deux résidences, l'une étant située à l'étage de l'autre, et mettant en parallèles par d'habiles jeux d'angulation de la caméra les foyers parfaitement opposées et pourtant si étroitement entremêlées qui y vivent. Le plancher des uns sera le toit des autres, et l'enjeu n'est pas tant géographique que métaphorique ; tandis qu'un escalier se voit investi d'une puissance dramaturgique folle, incarnant le lien ténu et pourtant solidement ancré entre les deux familles. D'ailleurs, tenter l’ascension par un autre biais sera un chemin qui ne mènera plus qu'à la mort. D'autres symboles récurrents ponctuent le film, comme autant d'obsession d'un personnage torturé par sa propre ambition. La question du temps hante le métrage, étant le véritable ennemi du Dr. Jekyll qui cherche par tout les moyens à se soustraire de son emprise, il n'en reste pas moins obnubilé par son sinistre et instoppable écoulement, incarné par cette montre à gousset que sort convulsivement le docteur tout au long du film. La notion de reflet est également développée jusqu'à l'obsession, le miroir devenant une personnification de la dualité du Docteur, grâce à une scène de transformation brillante en tout point (mise en scène, interprétation, technique... diable, ça change des chauve-souris en plastique et des fondus enchaînés!). A la croisée de ces deux objets, incarnation de concept plutôt que présence matériel, le couteau, l'arme récurrente du crime, présente à la fois la brillance de la montre et la réflectivité du miroir, il est à la fois le témoin, le relais que se passent Jekyll et Hyde, leur seul point de rencontre et de passage ; et en même temps le remède au temps, l'incarnation de l'espoir de l'un et du plaisir de l'autre, et leur perte à tous les deux.
Je suis régulièrement enchantée par les couleurs très pures, mises en valeur par des contrastes francs et prononcés, qui signent la patte visuelle du studio. Cependant je n'avais encore jamais relevé un tel symbolisme dans l'utilisation des couleurs. Costumes et décors s'allient à la lumière toujours un peu irréaliste et fantasmagorique qui caractérise la Hammer, pour parvenir à une épure absolue, permettant une lisibilité parfaite d'un code couleur servant ambiance et intrigue à la fois. Noir, les atours et zones d'obscurité dans lesquelles aime à se camoufler le docteur Jekyll, l'obscurité de la science et de l'anonymat dans lequel il se réfugie, et par lesquels il justifie toutes les horreurs qui sont nécessaires à son ambition. Blanc, le costume de son ami et mentor duquel il s'est détourné, amoureux de la vie sous toutes ses facettes, blanc également les linceuls qui dissimulent la mort avec pudeur, blanc toujours les lunettes et la canne d'un Hare dont l'obscurité de la cécité lui auront fait se ranger du coté de la clarté et du bon. Rouge le sang, rouge madame Hyde, comme deux apparence d'un même concept, celui de la dualité mort/vie, parée de violence. Tout le reste du spectre du visible se concentre dans les parures des jeunes femmes menacées et victimisée par Jekyll et ses acolytes, irrésistibles représentantes de la vie, de la jeunesse, de l'innocence et de l'insouciance que chasse un scientifique assoiffé de savoir et de contrôle. Et la maîtrise parfaite d'une ambiance à la fois glaçante et élégante se poursuit sur le plan sonore, par une bande son capable d'un triple grand-écart, allant de la musique typique du film d'épouvante, à base de violon poussant des cris de détresse, à la douceur d'une ballade chantée nonchalamment par l'une de celle qui possède sans le savoir ce que convoite ardemment le scientifique, pour finir par le silence le plus profond et le plus malaisant. C'est en jouant le décalage entre ces trois ambiances sonores et ce qui se passe à l'écran que le réalisateur active réellement l'angoisse de son spectateur.
Bon. C'est bien beau tout ça, mais sinon le scénario est tout naze. Et oui, la mise en scène magistrale, la maîtrise de l'art cinématographique à couper le souffle, tout ça est au service d'une histoire boiteuse, incohérente et stupide. Non je ne me plains pas ni d'un humour plutôt subtil et réussi, ni d'un aspect résolument décalé et queer (ce même mot « queer » étant lui-même sujet à l'un des nombreux clin d’œil que fait le film à son spectateur, à la fois trait d'humour que seul lui peut déceler, et friandise récompensant son attention). Ce dont je me plains c'est bien la trame elle-même, et les justifications de plusieurs actions, nécessaires certes au déroulé de l'histoire, mais parfaitement incohérente au regard des personnages, de la situation, ou tout simplement de la logique et de la réalité. Donc Jekyll cherche la vie éternelle, et puisqu'on a besoin que celui-ci se transforme en femme, on va donc décréter que le secret de la jeunesse éternelle réside dans les hormones féminines... Tu la sens venir l'entourloupe ? Bingo, c'est donc scientifiquement approuvé, puisque les femmes n'ont pas de calvitie et que leur peau reste éternellement belle et lisse (pardon ? Non messieurs, ça c'est juste la chirurgie esthétique...), c'est donc bien que leurs hormones les empêchent de vieillir. Je ne saurais même pas dire si c'est sexiste, bien plus que sexiste, ou simplement complètement con. Du reste, toute cette affaire de transformation, pourtant très clair dans son traitement visuel, reste assez obscur dans les faits. S'il y a bien une relation de cause à effet au début engendrant la transformation aller et celle retour, tout ça se noie au fur et à mesure que l'intrigue avance. Ce n'est plus l’histoire qui s'adapte au différentes métamorphoses du personnage, mais bien les transformations qui surviennent lorsque le scénario en a besoin. Le summum de la paresse du scénariste survenant en milieu de film quand, au lieu de chercher un moyen habile de montrer au spectateur que madame Hyde prend de plus en plus l'ascendant sur son créateur, il se contente de faire revenir sa bien pratique voix-off qui expédie l'affaire. Ce qui me rend d'autant plus amer que les quelques autres scènes-clefs sont si hallucinante et intelligente qu'elles n'auraient pas à rougir devant David Lynch. Les instants de bascule de la psychologie du personnage et les virages de scénario sont en effet soulignés par une mise en scène poussée à son paroxysme. De l'acceptation du crime par le docteur, filmée dans une contre-plongée quasi-totale et subjective ; au premier meurtre commis de ses propres mains, sous la lumière dansante d'un feu de cheminée aux allures de boule à facette, sans omettre les immanquables scènes de transformation : tout autant de preuves que l'intelligence est un bon substitut au budgets de production.
Zalya
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le 23 janv. 2022

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