Après une petite escapade aux États-Unis, mais ce sera pour mieux y revenir, Jackie Chan retourne à Hong-Kong auréolé de sa carrière internationale et de ses succès précédents. Comme dans La Hyène intrépide, il endosse les casquettes de directeur, participe au scénario et aux chorégraphies, et bien sûr incarne le premier rôle, Dragon.
Dragon est un jeune homme un peu trop remuant, qui entraîne souvent son ami Cowboy dans des péripéties qui se retournent contre eux. Fils de notables de la bourgeoisie locale, ils ont pourtant une éducation stricte, mais que Dragon arrive toujours à contourner. Leurs chemins croisent celui de contrebandiers, qu’ils vont devoir arrêter.
Mais présenté ainsi le scénario serait plutôt mensonger. Car ce combat contre des revendeurs d’objets d’art intervient assez tard, et n’apparaît que comme une aventure de plus sur leur route. Après le dernier affrontement, le film présente encore d’autres scènes, pour se terminer sur une note sportive.
Dragon Lord fait partie de ces films où Jackie Chan commence à expérimenter, où il teste un peu ce qu’il peut faire dans un film. Il privilégie ainsi le personnage au scénario, avec une enfilade de scènes athlétiques et humoristiques. Il entend bien démontrer ses capacités et assurer le spectacle et pas uniquement lors de scènes de combat. C’est le cas dans cette scène de lecture publique devant son père, où Dragon use de différents stratagèmes drôles et vifs pour se sortir de cet exercice, avec l’aide de ses amis. Ou bien d’un moment sportif dans un mélange de badminton et de volley qui se jouerait au pied, ou de ce jeu sportif rituel à la fin.
D’autres moments plus musclés sont heureusement présents. Il y a cette poursuite assez impressionnante sur les toits de la résidence des contrebandiers, où Dragon doit esquiver les lances qui percent la toiture pour l’avoir. Mais le clou du spectacle est l’affrontement contre le chef des voleurs, dans un moulin à grain, avec un combat très visuel, utilisant chaque objet du décor pour de nouvelles cascades.
Mais l’inconvénient majeur à cette volonté de proposer moins d’affrontements, c’est que Jackie Chan fait durer les autres scènes, à un point où la beauté du spectacle qui se délivre sous nos yeux s’affadit. Le passage sportif en est un bon exemple, avec ses retournements et sa victoire de la dernière chance, qui occupe une quinzaine de minutes qui finissent par devenir longues.
Néanmoins, en faisant un pas de côté, Dragon Lord est aussi intéressant dans la manière qu’il a de mettre en avant la culture chinoise. Le vol d’œuvres d’art est considéré comme une atteinte au patrimoine, de la bouche d’un bandit renégat qui entraînera les deux amis dans leur protection. L’éducation de Dragon est l’occasion de citer quelques grands noms de la littérature chinoise, et de réciter, certes maladroitement, quelques vers. Mais il y a aussi ce sport ou ce jeu à la fin, qui nous apparaissent comme bien exotiques, mais qui ont leur importance pour les personnages. D’ordinaire, les films de kung-fu ne gardent de cette culture que la philosophie des arts martiaux, et il est appréciable que ce film en montre d’autres aspects.
D’ailleurs, on peut même dire que le film est assez patriotique et nationaliste, avec ces contrebandiers, cette culture mais aussi l’attitude de Jackie Chan. Il est ici un peu plus en retrait, n’est pas présenté comme un combattant surhumain. Dans un affrontement contre deux brigands, c’est la foule qui vient l’aider qui les fait fuir. Pour le dernier combat, il est à la peine presque tout le long, salement amoché. Pour ce qui est du sport ou du jeu, s’il est l’auteur de ce qui marque la victoire de chacun d’entre eux, c’est aussi grâce à un travail d’équipe.
Est-ce que cette mise en valeur culturelle et cet effacement ne serait-il pas la conséquence de son passage américain et de la volonté de reconquérir son public ?
De plus, s’il n’y a rien à redire sur les cascades ou les affrontements, toujours aussi impressionnants et inventifs, Dragon Lord fait preuve de quelques moments de mise en scène aussi réussis. La caméra se niche dans des angles audacieux mais peut en bouger tout en restant toujours claire. Certains plans utilisent d’ailleurs une certaine profondeur du champs dans le décor, tandis qu’il y a une utilisation de la lumière assez bluffante lors de la première scène dans le repaire des contrebandiers. L’audace dont a fait preuve Jackie Chan pour ce film se retrouve dans sa réalisation, moderne sur bien des points.
Dragon Lord est donc assez ambitieux et démontre bien le talent et l’imagination de Jackie Chan, dans une tentative qui ressemble à la fois à une volonté de surprendre le spectateur mais aussi de reconquérir le public chinois. Malheureusement, malgré toute la sympathie qu’on peut avoir pour le comportement espiègle de Dragon, ses facéties ou ses compétitions lassent, à cause d’un problème évident de rythme. Heureusement, les meilleures scènes du film arrivent pour nous redonner un coup de fouet dans le dernier tiers.