Cette pub pour la Chevrolet Impala ne m'a pas vraiment convaincu

Ayant vu quelques jours avant Bronson et Valhalla Rising (du même Refn), j'ai mieux réussi à comprendre le phénomène Drive : je ne parlerai pas d'une arnaque, mais plutôt d'une somme de faux-semblants qui trahissent des lacunes. Je reste persuadé que Refn possède un grand potentiel mais, par son manque de maturité, il nous livre ce qui ressemble à des produits très stylés dont l'emballage est très beau, mais qu'on oubliera juste après que l'effet de séduction soit devenu inactif. Je ne déteste pas Refn, mais il s'inscrit dans une logique d'esbroufe qui, elle, est assez détestable. Car les apparences sont trompeuses et Drive n'a rien d'extraordinaire : il ne remet rien en cause, ne pose aucune question, ne dérange ni ne bouscule personne, ne critique rien. Bref, le grand public sera conquis.

Je l'ai vu avec un peu de retard, et en questionnant toutes les personnes de mon entourage qui l'avaient vu avant moi, une chose m'a vraiment frappé : personne ne m'a parlé de l'histoire, ni de la portée du film, ni de ce qui les a touché ou transcendé. Voici un exemple typique de dialogue (réalisé sur un échantillon de 4 personnes non consentantes) :
- Alors c'était bien Drive ?
- Ah ouais, énorme ! C'était... euh... beau !
- Et ca parle de quoi ?
- Il faut que tu ailles le voir, rien que pour la photo : c'est vraiment très beau !!
- Oui, mais ça parle bien de quelque chose, est-ce que l'histoire vaut le coup ?
- Le scénario ? C'est pareil que "Le transporteur", mais en bien.

Tout d'abord, le personnage principal : il n'a pas de nom, il est beau, il est bien fringué et bien lisse. Il est doux et gentil, comme un personnage de spot publicitaire. Bullit est une influence majeure de Refn pour ce film, mais... Ryan Gosling a-t-il vraiment l'élégance et la classe d'un Steve McQueen ? En tout cas Gosling fait très bien le vieil adolescent qui s'ennuie et qui est fier de ses nouvelles fringues : l'homme au regard de moule marche droit (car son jean "slim stretch straight fit" est très serré), et il a un cure-dent (donc il est cool). Dans le cinéma de Refn, cela porte un nom : le sang-froid (à noter que c'est aussi le titre du film, mais au Québec).

Drive, c'est beau... c'est beau comme une pub pour une voiture. Et, sans que l'on ne s'en aperçoive vraiment, Refn surfe sur la mode du moment :
- La musique : sorte d'électro-pop minimaliste très maniérée, parfois juste gnian-gnian (celle de la dernière scène est atrocement fade).
- La photo : les traitements sont poussés sur les tons, les couleurs, la dynamique. Les effets par contraste tonal et HDR sont très à la mode en ce moment. On trouve ça joli pendant un moment, puis on s'en lasse très vite. Et je pense qu'on se lassera vite de Drive : il se fera consommer et oublier comme tous les autres produits très clinquants du moment.
- La mode : vêtements et accessoires vintage, pantalon stretch, cheveux courts et aspect "mal rasé mais clean quand même".
Ca ne vous rappelle rien ? Encore une fois, il s'agit des mêmes formats que ceux de la publicité. Drive est un clip (et c'est ce qui fait l'unité du film) : le personnage principal n'a pas de nom, et sa personnalité est tellement absente qu'on peut l'utiliser à souhait dans n'importe quelle situation (il suffira de bien le cadrer et de correctement l'éclairer). Il ne manque plus que le logo et le prix de la voiture. (Je veux la même ! Je veux l'acheter !!).
Je vous invite aussi à consulter la photo de Kavinsky sur sa fiche Wikipedia (Kavinsky est l'un des artistes composant la BO de Drive) : notez le petit bombers à la mode, le T-shirt tendance, les lunettes fashion, le rasage imparfait et surtout l'air sérieux et pénétré du héros de la nuit. Mais oui ! il est exactement à l'image du personnage de Drive ! Le style du film tient alors toute sa cohérence : Drive est une sublimation de la superficialité.

Mais insistons un peu sur la photo, puisque c'est ce qui séduit, avant tout, dans Drive. D'ailleurs c'est le péché mignon de Refn : émoustiller le spectateur par des effets "qui claquent". Ainsi il s'entoure toujours de chefs opérateurs réputés ou qui sont tout simplement friands de nouvelles technologies. Faire le choix d'un matériel de pointe (camera RED dans Valhalla Rising, camera Arriflex Alexa dans Drive) incite à en pousser ses réglages pour bénéficier de tout son potentiel, quitte à en abuser largement (c'est le cas dans ses 3 derniers films) puisqu'il faut bien justifier son utilisation. Dans Bronson, Refn a choisi le chef op de Eyes Wide Shut pour coller au style et à certains codes de Kubrick (l'une de ses principales influences avouées). L'idée de départ était très bonne mais le personnage aurait mérité un traitement plus profond, plus fin, plus habile. Dans Valhalla Rising, l'histoire (quasi-allégorique) est très intéressante mais elle est noyée dans une débauche et une saturation d'effets qui, s'ils avaient été déployés plus subtilement, auraient mieux porté le sens du film. Et enfin, dans Drive, tout l'intérêt se porte sur la photo, et le fond du film n'a rien de vraiment intéressant. Refn est-il surestimé ? Oui, je le pense ; non pas pour son manque d'idées, mais plutôt parce que ses œuvres n'atteignent pas l'ambition qu'il leurs attribue. Dans Drive, c'est différent : il dépense beaucoup d'efforts à assurer un style, mais cette fois c'est le scénario qui est faiblard. Au final, dans tous ces films, les effets sont toujours en décalage par rapport au contenu. C'est bien dommage.

J'admets que la photo est une composante importante voire essentielle. Mais après avoir vu Taxi Driver, votre première impression a-t-elle été : "Wahou, quel cadrage !". Non, et pourtant Taxi Driver est une référence en la matière. Le cadrage et la lumière s'inscrivent totalement dans l'histoire qu'on nous raconte : la technique et les effets cinématographiques ne viennent pas s'ajouter à l'image : ils sont l'image. Scorcese, ou même Hitchcock, ont intégré la photographie tellement naturellement et finement à son contexte que l'œuvre finale en est sublimée. Autre exemple : quand, en 1973, pour Barry Lindon, Kubrick filme toutes les scènes d'intérieur à la bougie avec sa fameuse optique d'ouverture 0.7 (chourée à la NASA), je comprends tout à fait son intérêt de retranscrire l'éclairage naturel et l'ambiance de l'époque. D'une manière générale, Refn cherche à faire l'inverse : sublimer artificiellement l'image en espérant qu'elle vienne porter l'histoire. Je ne trouve pas cela naturel, je dirais même que c'est un peu malhonnête. En se faisant oublier, le cadre et la lumière devraient, au contraire, servir le récit, en se mêlant au reste de la forme, afin d'en révéler le fond. A l'inverse, ici, la profusion d'effets nous aveugle un peu : on ne se rend même plus compte que l'acteur principal, dont le jeu se résume à l'exercice de la statue, est sans relief. La photographie a même tendance à parasiter la lecture de l'œuvre ; et elle ne peut même pas s'appuyer sur la profondeur des personnages, ce qui devrait être, à la base, la substance de ce film. Ce dernier est tellement épuré que les contours en sont gommés, le discours perd sa teneur, l'âme disparaît. Ainsi, le sens se fait oublier et la portée du film avec.

Le chauffeur de Drive est juste le personnage principal d'une intrigue sans intérêt et finalement assez chiante et déjà vue, quand on y pense. Mais, non, n'y pensez pas... surtout pas... laissez-vous guider par les images ! (puisque c'est Refn qui le dit...). Tu m'étonnes ! C'est la seule chose à laquelle il puisse se raccrocher. A tel point qu'il a du tailler dans les dialogues pour "épurer" son œuvre (il nous fait le coup à chaque fois !). Comme il ne sait pas construire ses dialogues alors il les enlève. Les seuls qui restent sont plutôt creux : n'essayons même pas d'imaginer les rushes ! Refn filme aussi de nombreux silences qui, par manque de maîtrise (à force de vouloir trop d'effets), paraissent bien vides. Filmer des gens qui s'ennuient, Godard l'a déjà fait, mais ici c'est (un peu) moins chiant car on nous laisse contempler une photo hypnotisante, ce qui décale tout effet d'ennui de 30 secondes environ (ça tombe bien c'est la durée moyenne de chaque plan).

Ainsi, Refn est en train de faire devenir tendance, par le biais de la technologie, une façon soi-disant "alternative" de réaliser. Donc, ne confondons pas "artiste génial" avec "réalisateur arty pseudo-avant-gardiste". Et ne venez pas me dire que vous allez au cinéma pour assister à un diaporama de photos post-traitées ! Personnellement il m'en faut plus, et le scénario à la "Transporteur" ne me "transporte" pas beaucoup. Je ne pense pas me tromper énormément en disant que la clé de la qualité au cinéma est de construire des plans qui tiennent debout sans artifices. Dans Drive, le contenu n'est malheureusement pas assez consistant pour que les scènes parlent d'elles-mêmes. Refn n'invente pas un "style" : il donne juste carte blanche au directeur de la photo pour faire joujou avec une technique à la mode, rien de plus. Il fait partie de ces cinéastes "visuels" qui ne possède pas entièrement la maîtrise du "non-dit" pour exprimer une idée simplement. C'est pour cette raison que les (nombreux) silences de ses films n'ont que peu de puissance cinématographique, et que seule demeure une véritable et assez chiante lenteur. Pardon, on ne dit pas "lent et chiant" : il faut dire "contemplatif" !

Refn nous vante un soi-disant minimalisme pour combler ses lacunes, et se cache derrière une apparence, une image, certes travaillée et réfléchie, mais à la limite du cabotinage artistique : il construit une sorte de trompe l'œil qui est censé nous immerger dans la réflexion et l'intimité d'un personnage, mais dont le jeu est bien trop souvent inexistant pour pouvoir s'y raccrocher. C'est un film qui, selon moi, rejoint davantage le cinéma de divertissement que le cinéma d'auteur, ce qui n'est pourtant pas l'ambition de Refn. Et une fois qu'on gratte un peu le vernis, je me demande bien ce qu'on retiendra de ce film ! De plus, dans ces dernières réalisations, et sous prétexte d'épurer, encore une fois, il s'octroie le luxe d'éviter deux composantes presque incontournables : la profondeur des personnages et l'émotion. Ainsi, il ne filme pas la condition humaine, mais en donne une interprétation fantasmée et dénaturée à l'aide d'effets numériques spectaculaires. La dépendance de Refn à la technique devient trop flagrante : il a d'ailleurs confié qu'il rêverait de réaliser un film en 3D. Pourquoi pas, mais les nouvelles techniques font rarement les grands films (...et les "belles" images ne font pas forcément les bons films). Alors, pendant que Refn, lui, rafle les superlatifs de la critique, d'autres réalisateurs ou chefs-op, plus soucieux de la fidélité et de la qualité des images, attendent que le numérique livre de vraies innovations, moins tape-à-l'oeil.

Cependant, j'ai encore un peu d'espoir en ce réalisateur qui, à un moment donné, a suscité mon intérêt parce qu'il a été à deux doigts de faire de grandes choses. Ou alors je me trompe complètement, et la marge de progression dont il dispose est si grande qu'il ne prendra pas le temps de parfaire son talent, à force de vouloir profiter des nouveaux joujoux à la pointe de la technologie. J'ai bien peur que, plus tard, on associe seulement le phénomène et le "style Refn" à une certaine mode.
DZ015
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le 4 févr. 2012

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