Faire parler le silence à travers le non-dit, faire dialoguer les morts et les vivants, faire resurgir le passé des espaces en ruine, conduire le spectateur à remplir les vides narratifs, telles sont les moyens auxquels a recours Hamaguchi pour représenter formellement l’absence, sujet de son film.
En effet, plus que de deuil ou de mort, comme on l’entend souvent parler, le film traite de l’absence, principe structurant de l’œuvre. Absence de l’être aimé bien sûr, mais aussi absence du langage, absence de la vision, absence du passé, … suite à une disparition, un oubli, un accident, une maladie, …. Pour la mettre en scène, Hamaguchi, s’inspirant de la nouvelle de Murakami, superpose réalité ou fiction (ou plutôt ici deux fictions, celle du film puis celle de la pièce de théâtre) au moyen d’un savant et jouissif jeu de miroirs, permettant grâce à un excellent montage imbriquant la pièce de théâtre Oncle Vania de Tchékhov dans la diégèse du film de faire dialoguer les deux œuvres, au point de les confondre. Ce délicat mélange a le mérite de ne jamais brouiller la narration ni miner la syntaxe du film : au contraire, la fluidité est maintenue, tout en procurant un certain plaisir. Certes, la main manipulatrice du démiurge se laisse deviner tant cet échange devient à certains moments artificiel, néanmoins cela demeure une prouesse maîtrisée.
Le principal reproche qui peut être adressé à ce Drive my car, et qui selon nous gâche le résultat, ce sont, plus que ces longueurs étirant le film à une durée de trois heures assez inhumaines, les nombreuses redondances et les temps trop longs concédés à des moments assez vides de sens où les non-dits, les silences qui parlent et l’espace concédé à la réflexion et à l’imagination du spectateur débordent car disproportionnés, Hamaguchi voulant visiblement à tout prix se lancer par présomption dans un grand film, un film fleuve - comme est capable de le faire avec beaucoup plus de maîtrise un Nuri Bilge Ceylan – sans en avoir les moyens narratifs. Par ailleurs, la question de la disproportion se pose également en comparant la place qu’occupe le prologue, magnifique, bien plus intense émotionnellement que la suite, au reste du film ; sans parler du décalage de tonalité, assez incohérent, entre ces deux moments du film.
Reconnaissons finalement le tact, la sensibilité (toutes relatives, car s’agissant de l’émotion japonaise, culturellement sobre et pudique) avec lesquelles Hamaguchi aborde la question de l’absence, en s’appuyant toutefois sur l’occidentalité assez factice d’une pseudo- intelligentsia asiatique.