Un camion fou poursuit une voiture dans le désert californien.
C'est génial.
Voilà, c'est tout.
Next.
Si j'avais les bollocks, j'arrêterais vraiment ma chronique là-dessus. Mais comme je ne sais pas faire court, je vais faire un peu plus long.
Duel est déjà une exception en soi puisque, avec ce film, Steven Spielberg invente le zérotième long métrage.
Je m'esplique.
À l'origine, Duel a été tourné pour la télévision, dans une version plus courte que celle que nous connaissons aujourd'hui. Steven n'était alors pas LE Spielberg, mais un obscur tâcheron des studios Universal, cherchant à se faire une place en enquillant les téléfilms et les épisodes de série (dont le célèbre premier épisode de Columbo).
Très remarqué, voire plébiscité par les spectateurs, Duel connaît un tel adoubement que le studio commande quelques scènes supplémentaires à Spielberg (dont celle du générique d'ouverture) afin de l'allonger à 90 minutes et de le sortir au cinéma. Ce qui vaut au jeune réalisateur de recevoir le tout premier prix du festival fantastique d'Avoriaz (ex-Gérardmer, pour les plus jeunes).
De ce fait, Duel n'est pas le premier long métrage de cinéma de Spielberg (c'est The Sugarland Express), mais l'est devenu par un heureux concours de circonstances, qui a permis à la carrière du réalisateur de décoller.
Voilà pour la petite histoire (version courte, parce que vous n'avez pas que ça à faire, et moi non plus.)
Causons maintenant du film.
Le sujet du Duel était idéal pour permettre à Steven Spielberg de faire la démonstration de sa maestria technique, déjà patente, et surtout de son formidable sens du cinéma, sa science intuitive de l'image, du montage, du rythme et du suspense. Toutes qualités que ses films suivants vont confirmer, tout en s'enrichissant au fil des décennies de facettes de plus en plus complexes.
Un camion fou poursuit donc une voiture dans le désert californien.
Qu'est-ce qu'on peut bien faire d'un truc pareil ?
Il existe sans doute plein d'options différentes. Soit charger la barque, empiler les péripéties, ajouter des tonnes de psychologie, inventer des explications, chercher du côté du psychopathe maléfique ou de la métaphore socio-économico-industrielle, ou que sais-je encore.
Spielberg, non. Il n'explique pas, il ne justifie pas. Le camion est fou, point. Et c'est bien de la machine dont on parle. Son conducteur, on ne le voit pas, ou si peu. Un bras qui fait signe de passer, et c'est à peu près tout.
Dès lors, aucune psychologie n'est possible - et tant mieux.
Ce qui l'intéresse, c'est la réaction du conducteur traqué. Le bien nommé David Mann - "l'homme" dans toute sa splendeur, c'est-à-dire sa normalité, sa banalité, ses lâchetés, ses mensonges, mais aussi sa capacité de réaction, voire de révolte, quand sa vie se retrouve en péril.
Dennis Weaver prête ses traits ordinaires, sa voix de bonhomme fatigué qui parle tout seul et sa moustache so 70's à ce héros spielbergien typique, le premier d'une longue série, l'ancêtre de Brody (Jaws), Roy Neary (Rencontres du Troisième Type), Elliott (E.T.) et tant d'autres.
Pour le reste, tout tient à la mise en scène. Et là, c'est sidérant.
Il faut remettre ce film dans son contexte. Il faut insister sur le fait que Spielberg n'est alors personne. Juste un gamin qui rêve de cinoche, qui a la pellicule dans le sang - mais personne ou presque ne le sait, ni se s'y intéresse vraiment. Et que ce qu'il révèle à ce moment-là, c'est un authentique génie de réalisation comme on n'en voit pas tous les jours - ni même tous les ans. De l'instinct pur, l'intuition de la narration visuelle poussée à son paroxysme.
Il faut prendre le temps de décortiquer le film, séquence par séquence, plan par plan, pour en apprécier les changements de rythme, le choix des angles, des valeurs de cadre. Rien à voir avec un téléfilm basique. Pour de la télévision, surtout à l'époque, c'est du jamais vu. C'est virtuose, inspiré, créatif en permanence.
Duel, c'est la carte chance ultime de Steven Spielberg. Celle qui lui permet de sortir de sa boîte, de se faire un commencement de réputation et de crédibilité.
Sans Duel, pas de Jaws.
Rien que pour ça, ce film mérite le coup d’œil.
Mais aussi, simplement, parce que c'est un suspense éblouissant, impeccablement mené jusqu'à l'ultime seconde, et qui a le mérite de ne pas tomber dans le panneau des explications grossières pour justifier ce qui n'a pas besoin de l'être.
Pas un chef d’œuvre, il ne faut pas exagérer. Mais un sacré coup d'éclat en guise de prologue à une sacrée carrière.