Délaissant l'infinité vertigineuse de l'espace pour un cadre tout aussi immense à l'échelle de l'humanité comme de l'Histoire, c'est avec Dunkirk que Christopher Nolan orchestre un nouveau pan de son cinéma. Un film de guerre qui pendant près de 1h45, dans un déchaînement de sonorités continues emportera nos soldats inconnus pour qui le temps se résumera à une infinité d'ultimes instants présents. Nolan assisté par Zimmer et son métronome infernal ne cesseront alors de briser les frontières spatiales comme temporelles, livrant une expérience aussi admirable que difficile. Quoi de plus normal face à l'immondice de la guerre, destructrice de repères et fondatrice de nouveaux tandis que l'homme se révèle pour ce qu'il est vraiment.


Car Nolan reste avant tout un réalisateur fasciné par la peur, celle de l'inconnu, de l'imprévisible, du danger qui nous surplombe et nous domine mais qu'il faudra surmonter. Une peur qui vous écrase, vous étouffe et qui plus que jamais semble envahir tous nos protagonistes ainsi que le spectateur que nous sommes. Le projet d'une noyade minutieuse se délectant de ces comportements agités bien vains, aux espérances minces mais réelles. Cette noyade nous en faisons alors l'expérience par un travail de l'espace absolument magistral dans la continuité de ses œuvres précédentes. De véritables lieux de décompositions, celles des corps mais surtout des esprits.


En ce sens Dunkirk peut aisément s'apparenter à un véritable huis clos céleste. Un espace à l'immensité pourtant flagrante entre ces côtes interminables, un ciel synonyme de liberté comme d'espoir pour nos soldats et enfin cette mer les connectant au foyer tant attendu. Mais cette grandeur des lieux n'a d'égale que l'étroitesse de la cale d'un bateau à la dérive ou le cockpit d'un avion abattu. Les éléments se déchaînent constamment et broient ces hommes sous nos yeux. La plage tel un cimetière à ciel ouvert tandis que l'eau entraîne nos soldats dans les abysses. Une volonté de cloisonnement ininterrompu pour le spectateur aussi qui n'est pas sans rappeler les fulgurances de Cameron dans Abyss , faisant toutefois la preuve ici d'une technique et surtout d'une portée bien plus grande encore tant l’immersion atteint des sommets. La menace invisible pour ne pas dire divine en impose, une violence de chaque instant qui harcèle, bien plus épuisante et traumatisante que n'importe quelle souffrance charnelle. Une condamnation au supplice et à l'agir dans un enfer isolé, prison se rétractant peu à peu sur ces hommes toujours plus anéantis par le poids de l'Histoire. Le rêve de liberté côtoyant sans cesse une réalité cauchemardesque. Cette menace aérienne continue, une eau qui emporte puis recrache aussi violemment que vicieusement ces êtres désireux de fuir ou d'en finir définitivement font de Dunkirk un film terriblement prenant, tableau des comportements les plus humains. Mais si la claustrophobie a succédé à la crainte de l'éternel néant d'Interstellar comme de l'infinie solitude d'Inception, c'est bien dans le traitement de ses héros que Nolan innove véritablement et atteint des sommets.


Nous retiendrons évidemment la bravoure du petit équipage du Moonstone, puis cet homme que le monde a détruit incarné par un Cillian Murphy au regard noyé dans le désenchantement, mais aussi cet ange solaire en la personne de Tom Hardy. Cependant au même titre que les autres soldats, ils n'y a pourtant que des hommes, désireux de se sauver à défaut de sauver. Des personnages effleurés et cadavériques mais paradoxalement les plus vivants et authentiques que le genre nous ait donné très probablement. En anéantissant ces individus quelconques, Nolan peut ainsi mieux les élever, les vivifier. Il l'avait déjà prouvé par le passé mais c'est dorénavant acté, notre réalisateur est passé maître dans l'art de filmer les héros. Un héroïsme atteignant définitivement son apogée lors du plus beau mensonge que m'ait donné le cinéma. Une émotion sans pareille, un moment aussi bref qu'immense où la raison l'emporte sur toutes les guerres, où l'individu s'efface dans l’intérêt de l'autre, dans l’intérêt de tous malgré la douleur dévorante. Un effacement qui reste l'une des plus grande réussite de Dunkirk. Car cette somme de héros malgré eux incarne ce souffle si pénible et désespéré traversant le film dans son entièreté, un souffle qui transcende nos soldats et les capte tous autant qu'ils sont. En dévoilant ces individus aussi malheureux que tant d'autres, le réalisateur fait alors éclater les frontières dans ce huis clos viscéral afin de concerner l’entièreté des troupes, détruisant la figure factice du héros de guerre pour mieux laisser agir l'humain. Face à la mort c'est dans cet égoïsme, cette lâcheté parfois aussi, mais surtout avec ce courage qu'ils sont vrais, qu'ils deviennent grands.


Une oeuvre qui s'étend, l'union dans la terreur, mais surtout ce travail du temps, oppression ultime de ce cloisonnement subi. Indissociable d'une pensée de l'espace, le temps salvateur est capable de condamner aussi. Un temps que l'on essaye de traverser, dans lequel on tente d'exister. Ici trois temporalités rattrapées par ce même désir de survie propre à tous ces héros dans la défaite, trois temporalités que tout semblait séparer mais véritablement unifiées dans ce film débordant d'humanité. Une unification dans la souffrance par ce rythme qui nous embarque et nous travaille. Véritable leçon de montage par là-même. En mêlant les périodes, Nolan met ainsi sur un même pied d'égalité les choix adoptés parmi une somme d'instants qui se succèdent au battement des sonorités entre lyrisme et décompte avant la fin. Il donne une autre valeur aux actes, une autre valeur au temps également. Il n'y a en effet que des survivants, caractérisés par des actions où le bon choix n'a plus de sens véritable. Dunkirk n'est alors à son tour qu'un instant parmi d'autres, un simple instant à l'authenticité saisissante magnifié par l’œil de Nolan . Mais avant tout un instant ressenti pour ne pas dire vécu.


Entre terreur et émerveillement, le film devient ainsi une véritable composition atemporelle où l'homme transcende absolument tout, multipliant les regards et les sensations. Une temporalité comme enchaînement ininterrompu où chaque moment est synonyme de vie et de choix sans cesse décisifs, où la moindre seconde possède une valeur inestimable. L'infiniment petit devenant alors infiniment grand, l'insignifiant côtoyant l'épique. Une totale volonté de faire émerger du chaos de la guerre ce petit monde qu'est l'humain afin que ce dernier puisse pleinement s'exprimer au détour d'une expérience sans pareille. En définitive Dunkirk c'est ce voyage dans le temps pour une traversée au cœur de l'infini des possibilités dont sont capables les hommes. Une certaine idée de l'Histoire de la part du plus grand réalisateur de sa génération.

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le 20 juil. 2017

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Chaosmos

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