Though the boys are far away still they dream of home

Qu'on se le dise tout de suite, *Dunkerque* est un bon film sur la guerre qui a su trouver le juste milieu entre le divertissement grand public et le film historique qui rend hommage au peuple britannique. Alors je préviens, je spoile un petit peu donc si vous n'avez pas encore vu le film, allez le voir, il en vaut la peine.

LE RYTHME


L'une des grandes qualités du film est son travail sur le rythme. Dès la première scène, le spectateur est parachuté à Dunkerque grâce au début in media res. On comprend alors que l'ennemi est le temps, et c'est ce que nous rappelle le tic-tac constant, celui de la montre de Nolan lui-même, qu'on entend tout le long du film, et auquel se mêle parfois la musique de Hans Zimmer. Ces tic-tacs incessants sont extrêmement pesants, semblables à un éternel compte à rebours annonçant les prochains bombardements, la fin des rafales, le nombre de minutes avant une noyade, d'heures avant le départ d'un navire, de jours qui passent avant l'arrivée des soldats allemands... C'est un compte à rebours avant la mort, mort toujours présente, qui traque les soldats même lorsque ceux-ci ont la chance d'avoir une place dans un bateau. Ce compte à rebours ne prend fin qu'une fois les soldats dans le train, en sécurité en Angleterre. Mais cesse-t-il vraiment ? Car le bruit des cailloux que des enfants s'amusent plus tard à lancer sur du métal n'en est-il pas la continuité ? N'est-ce pas ce battement que la plupart des soldats, traumatisés, entendront toute leur vie, à l'instar du personnage de Cillian Murphy ?
Il n'y a donc aucun répit pour le spectateur car à aucun moment la tension ne redescend. Le suspense ne retombe jamais et cela est dû à une gestion du temps originale. En effet, on trouve dans le film trois temporalités différentes qui s’entremêlent pour ne garder de chacune d'elles que les moments les plus intenses : les passages montrant les soldats à la jetée s'étalent sur une semaine, ceux avec M. Dawson sur une journée et ceux avec le pilote sur une heure. Si ce montage est intelligent, il n'est pas présenté clairement au spectateur. Les indications de temps au début du film ne permettent pas de comprendre facilement comment le film est monté, et on en vient du coup parfois à se demander pourquoi il fait nuit alors qu'il fait jour juste après. Il aurait peut-être été préférable d'insister plus sur le passage des journées dans les scènes avec les soldats de la jetée, car au final on ne retient qu'une nuit, sur les six ou sept annoncées.

LE REALISME


Les sentiments restent assez mineurs dans le film. Tout est mécanique, tout est cyclique : les marées, les jours, les morts qui reviennent s'échouer sur les plages, les bombardements quasi-réguliers à chaque fois qu'un navire chargé de soldats anglais démarre. Cette approche assez froide de l’événement ne le rend toutefois pas moins effroyable et choquant pour le spectateur, même en ne montrant pas de sang et de blessures, à la différence de *Tu ne tueras point* de Mel Gibson sorti en 2016. Car c'est en retirant le caractère sensationnel et héroïque présent dans la plupart des productions hollywoodiennes, mais aussi dans la « version de conte de fée très simplifiée et presque mythique »  qu'on raconte aux enfants britanniques, et qu'on raconta à Nolan enfant, qu'on est témoin du drame dans sa version la plus brute, mais aussi la plus authentique. Nolan a plutôt bien réussi à éviter cela, à l'exception d'une scène tout à fait inutile qui ne se fond d'ailleurs pas bien au reste du film : celle de la mort de George. 
De plus, l'authenticité est renforcée par l'utilisation de vrais bateaux et Spitfires. Le bruit assourdissant des moteurs et des bombardements est aussi toujours présent. Il n'est pas, ou peu, réduit, ce qui aurait certes satisfait l'oreille des spectateurs mais n'aurait pas servi au réalisme du film. En parallèle, les dialogues se font rares. Le soldats n'ont pas le temps et l'envie de parler, et cette absence d'échanges est tout à fait crédible étant donné que chaque personnage doit avant tout penser à sa propre survie.
Quand à l'image, même si les paysages ne sont pas rendus laids par les événements, ils ne sont pas non plus idéalisés sous la caméra. Les couleurs tournent autours du gris et du bleu, le soleil reste souvent caché par d'épais nuages sombres. Le film n'est pas contemplatif, les paysages, si beaux soient-ils, ne servent que de scène à l’événement, et ce n'est d'ailleurs qu'une fois en sécurité dans un bateau qu'un soldat se permet de contempler les falaises. Cette scène mise à part, la caméra, tout comme les soldats, est plus souvent en mouvement, en particulier lorsque le cameraman filme, caméra à l'épaule, les soldats qui courent se réfugier pour se protéger des bombardements, et embarque donc le spectateur dans l'action.

LES PERSONNAGES


Par ailleurs, les soldats ne sont pas des héros, à l'exception des membres de la RAF à qui les dernières images rendent hommage. « On a survécu, c'est tout », rappelle d'ailleurs un jeune soldat lorsqu'il reçoit les félicitations destinées à l'armée de retour en Angleterre. Car ces soldats sont avant tout des victimes, nul d'entre eux ne traversera la plage, bravant les tirs de la Luftwaffe, pour sauver son ami à l'autre bout de Dunkerque. Nul d'entre eux ne vivra de romance avec une jeune infirmière. Les soldats sont peu romancés, ils ne sont pas idéalisés, la haine que certains ressentent envers les français n'est pas tue. Nolan a choisi de se rapprocher de la neutralité pour mieux rendre hommage à ces hommes.   
Il y a relativement peu de personnages principaux, même s'il y en a tout de même quelques uns (M. Dawson en particulier). Je suis consciente que c'est pour Nolan un moyen de donner un visage aux vrais héros de cet événement : les civils, et de personnifier le « Spirit of Dunkirk » (l'esprit de Dunkerque) qui résulte de cette évacuation miraculeuse. C'est d'ailleurs sans doute pour mieux donner un visage à ces héros anonymes que Nolan a choisi de nombreux acteurs qui étaient jusque là inconnus. Je trouve toutefois cette focalisation sur quelques rares personnages regrettable en de nombreux points. Elle semble être en contradiction avec la démarche du film qui était de ne pas se concentrer sur des personnages en particulier pour mieux percevoir le courage civil commun qui s'est manifesté pendant cet événement, et que Christopher Nolan définit pourtant très bien comme relevant de l'« héroïsme collectif plutôt que des actions héroïques individuelles ». Réaliser un film sans personnage principal aurait été très audacieux, mais puisque Nolan semble ne pas avoir osé aller jusque au bout de sa démarche, il aurait au moins fallu que les personnages importants soient travaillés. Car sans forcément raconter leur passé, ce qui aurait été inutile, il aurait fallu creuser d'avantage leur personnalité pendant les scènes auxquelles le spectateur assiste, en évitant toutefois de trop les distinguer du reste des soldats car au fond, comment être considérablement différent des autres lorsqu'on est tous sur le point de mourir d'une minute à l'autre ?
Hommage est également rendu aux soldats qui ont subi cette catastrophe, aux morts aussi, dont Nolan a prit le temps de filmer les cadavres au milieu du film, aux survivants qui attendent, assis dans le sable, vulnérables et n'ayant aucun moyen de se défendre. Les plans montrant ces jeunes soldats, qui accompagnent les plans des cadavres, sont filmés de travers : l'horizon n'est même plus horizontale, il n'y a plus aucun espoir auquel s’accrocher. Ce procédé est peu original mais non pas moins efficace ici utilisé par Nolan.
Aux vues de ces scènes, dire donc que la mise en scène est objective serait une erreur. Christopher Nolan la souhaitait subjective, passant du point de vue d'un soldat à un autre, puis de celui d'un marin, d'un pilote, d'un civil, pour mieux saisir l’événement dans sa globalité. Cette subjectivité n'entre pas en contradiction avec le réalisme du film car il ne s'agit pas de voir la réalité déformée par la vision des personnages, mais de découvrir les expériences réelles vécues par chacun d'entre eux. Une autre trace de subjectivité, qui peut également être apparentée à un manque de subjectivité, se trouve dans la non représentation des allemands. Subjectivité donc car on ne les voit qu'à travers la vision des citoyens britanniques, français et néerlandais, mais aussi manque de subjectivité car à aucun moment on ne découvre le point de vue de l'ennemi. Des allemands, on ne voit que leurs avions, on ne constate que leurs tirs, mais jamais on ne les voit en temps que personnes. Ils sont réduits à leurs appareils, ce ne sont que des machines à tuer sans visages. Évidemment, pendant la guerre, tous les allemands n'étaient pas nazis et tous les soldats allemands n'étaient pas mauvais, comme on peut très bien le voir dans le film Les Oubliés de Martin Zandvliet sorti la même année en France. Mais dans le film de Nolan, cela aurait été plutôt malvenu et hors-sujet. Les soldats allemands bombardent des soldats vulnérables, entassés sur des pontons. Ils traquent les bateaux qui fuient les plages, massacrant ainsi des soldats, la plupart très jeunes, qui ne désirent que survivre. Donner un visage aux allemands aurait donc probablement été une erreur car ça aurait été déjà trop les humaniser ou ça aurait pu être prétexte à créer une rivalité inutile entre un membre de la RAF et son homologue de la Luftwaffe. Les soldats allemands n'auraient d'ailleurs pas été plus effrayants car le son des explosions et les terribles cris des Stukas, bombardiers de la Luftwaffe, suffisent à remplir le spectateur d'effroi.


Mais puisque le film se concentre sur les événements qui ont eu lieu à Dunkerque uniquement, il ne faut pas espérer en apprendre beaucoup sur le plan historique. Ceci n'est pourtant pas vraiment un problème car le film ne se veut pas documentaire. On ressent l’événement plus qu'on ne l'apprend. On subit le suspense constamment, on est impressionné par ces combats aériens. Je regrette tout de même, en temps que française, de ne pas voir plus de nos soldats et surtout de ne pas savoir ce que la plupart d'entre eux est devenue. Mais il s'agit surtout de rendre hommage aux hommes qui ont joué un rôle dans cette évacuation, ainsi qu'au peuple britannique qui a su tenir bon grâce au fameux « esprit de Dunkerque ». Toutefois, sans pour autant nuancer cet hommage, on ne cesse de nous rappeler aussi que cette évacuation miracle n'est pas une victoire, ce n'est d'ailleurs que le début d'une longue et meurtrière guerre.


« on ne gagne pas les guerres avec des évacuations. »
Winston Churchill



Note : 7; 8 s'il n'y avait pas eu le personnage de Dawson, la mort de George et si je l'avais vu en VO.
Il faut aussi savoir que je suis très intéressée par cette période et très sensible au sort des soldats, donc forcément ça joue dans mon appréciation de ce genre de film.


Keep the Home Fires Burning, Bob Chester, 1942

Neah_
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le 20 juil. 2017

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