Dunkerque de Christopher Nolan, nouvel héroïsme

Des prospectus de la propagande ennemie tombent du ciel gris dans les rues de Dunkerque désert. Christopher Nolan choisit l’opération Dynamo : en mai 1940 la situation est critique et Churchill ordonne l’évacuation des soldats alliés depuis les plages du Nord. Dunkerque est une plongée dans le champ de bataille, sans le repos du guerrier, sans un regard vers l’arrière. Après des thrillers bouleversants comme Inception, des films de super-héros (la trilogie The Dark Knight) et de la science-fiction (Interstellar), Christopher Nolan relève encore un autre défi, celui du film de guerre, avec brio. Après ce film intense, plus précis, ramassé et épuré, il faut quelques temps pour reprendre son souffle, car les questions fusent.


Un film intense à l’esthétique épurée


Les longues plages du Nord, les grandes étendues d’eau vues en plongée, les trajectoires des bombardiers, l’horizon, où ne point toujours pas les bateaux, où se trouve pourtant la maison… Dunkerque nous offre une esthétique sobre, le décor épuré se compose de grandes lignes qui traversent le cadre. Les hommes forment de longues files indiennes que la mer arrête. Entre l’eau et le feu, encore sur terre ou dans les airs, ils doivent survivre entre les quatre éléments. Épure dans les dialogues également : les séquences silencieuses en sont plus frappantes et le regard bleu de Fionn Whitehead en soldat de vingt ans, plus juste.


Une gestion du temps virtuose


Épure dans le scénario aussi, grâce à une géniale gestion du temps. On retrouve avec enthousiasme dans Dunkerque l’attention virtuose que le réalisateur lui porte dans beaucoup de ses films. Christopher Nolan entremêle ici trois couches temporelles : la semaine d’évacuation des soldats alliés, la journée de traversée pour les civils volontaires, dont les bateaux de plaisance ont été réquisitionnés pour le rapatriement, et les quarante minutes de mission des aviateurs alliés contre les bombardiers ennemis. Cette superposition temporelle participe à l’épure et la précision du film et révèle les pouvoirs propres au cinéma.


Certes, on peut reprocher à Christopher Nolan cette sobriété : cet événement de la Seconde Guerre mondiale a sans doute été beaucoup moins propre, moins silencieux, moins rasé. Il n’empêche, les enjeux qui meuvent les soldats dont le seul but est de survivre et de rentrer à la maison sont ramassés, selon le même procédé d’épure, pour nous en offrir la substantifique moelle : « ne monte pas sur le bateau il n’y a plus de place, descend de la calle ou le bateau sera trop lourd ».


Survivre ou sauver ? Héroïsme, absurdité et guerres modernes


Qu’en est-il du patriotisme ? Christopher Nolan le célèbre-t-il de manière appuyée ou s’agit-il au contraire d’une mise à distance ? Le réalisateur fait sans doute exprès de ne pas se prononcer. Le décalage final entre l’aviateur Tom Hardy et les soldats rapatriés vivants est magnifique, et nous ne pouvons pas éviter ces questions. L’aviateur, archétype du héros, affronte seul son destin. Après avoir fait couler le dernier bombardier allemand, il est fait prisonnier et ses exploits ne seront peut-être jamais connus. Les soldats survivants eux, ont juste voulu sauver leur peau. Ils reviennent honteux mais leur arrivée est célébrée tout de même, à la gare comme dans les journaux. Il n’est peut-être pas anodin que ce héros d’aviateur agisse dans les airs, plus près des dieux. Cette figure mythologique devient même christique, quand, après avoir sauvé les soldats évacués, en rupture de carburant, il n’a d’autres choix que d’atterrir en zone occupée pour se livrer à l’ennemi. Cette mise en parallèle de deux situations opposées aux interprétations multiples permet d’interroger l’héroïsme et le patriotisme aujourd’hui, dans un contexte de guerres totales où l’absurdité domine.


Les guerres modernes du XXe siècle et les suivantes, au sommet de l’horreur, à la monstruosité inimaginable, montrent les limites de notre idéal antique du héros et de la mort glorieuse. Il n’y a plus de héros, il y a surtout des hommes. À choisir, ils ont préféré la vie à la mort, et on les comprend, même si l’idéal héroïque nous murmure que c’est être lâche. Ces séquences où tout n’est que suggéré, où l’on retient son souffle, posent clairement, mais sans le dire cependant, des questionnements éthiques : l’instinct de survie, est-ce bien ou mal ? Autrui ou moi d’abord ? Il semble que l’absurdité des guerres mondiales change la donne, et Christopher Nolan nous suggère ces réflexions avec retenue et précision.

LéaDuvauchel
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le 5 févr. 2018

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Léa Duvauchel

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