Synopsis : Le récit de la fameuse évacuation des troupes alliées de Dunkerque en mai 1940.
Synopsis réel : Le récit romancé et anhistorique de l’évacuation des troupes anglaises en mai 1940.


Célèbre bataille des Thermopyles à l’envers, la bataille de Dunkerque de mai 1940 est la conclusion en forme d’échec cuisant de la phase de reconquête terrestre de l’Europe par les forces alliées lors de la seconde guerre mondiale. Une succession de défaites et de couacs opérationnels amènent à l’opération Dynamo, une fuite en forme de désastre concrétisant une année noire, 1940, pour la victoire et l’espoir européen face à Hitler. Le corps expéditionnaire anglais, mis en fuite après la percée de Sedan, décide unilatéralement, sans le consentement des forces occidentales, de fuir et retourner en Angleterre en prévision d’une bataille décisive sur mer, air et terre. Le blitzkrieg de Sedan coupe les troupes anglaises et les unités mobiles françaises du reste du contingent métropolitain au Sud et les laissent à la merci d’une immense force militaire allemande. Près de 400 000 soldats de différentes nationalités (anglais, français, belges, canadiens …) se retrouvent encerclés dans un corridor en forme de quadrilatère menaçant de 22km par 10 à partir du 26 mai.


Premier écueil de cette œuvre : la réalité historique est dévoyée au principe de l’efficacité scénaristique. Réaliser un film sur la bataille de l’étau de Dunkerque sans montrer, ni même mentionner, une seconde la résistance héroïque des troupes franco-belges dans la défense du corridor restreint ayant permis la fuite des soldats britanniques est une reconstruction malhonnête de l’Histoire (ce n’est pas du chauvinisme mais de l’historicité). De 45 000 hommes envisagés d’abord par Churchill, 338 000 soldats seront finalement évacués, dont 123 000 français qui repartiront pour la plus grande majorité au front, après ce naufrage des armées terrestres alliées face à l’apogée allemande. Pour réaliser cette prouesse minutieuse en un temps record, 35 000 soldats, qui résistèrent jusqu’aux derniers instants à un contre dix, parfois plus à l’aune du crépuscule du siège, furent prisonniers par l’adversaire à l’issue d’une résistance héroïque dans des conditions dantesques face à un ennemi organisé et en nombre (environ 160 000 hommes). Les conditions étrangement inégalitaires de cette retraite firent d’ailleurs dire à la propagande allemande diffusée en zone de combat que « Les anglais se battront jusqu’au dernier Français ».


La photographie et la réalisation, tours de force du film : Ne biaisons pas une seconde, la photographie est sublime, la réalisation est d’une efficacité redoutable. Les images de survol de la côte d’Opale ressemblent plus à de jolies images d’Épinal qui ne mettent pas en exergue la réalité et la tension face à une situation de siège inextricable : aucune échappatoire pour des soldats abandonnés dans une enclave cerclée d’ennemis. Malgré tout, on tombe devant une photographie talentueuse, à l’œuvre d’un réalisme cinématographique habituel du cinéma de Nolan (parfois au mépris de l’intrigue ou de la profondeur des acteurs et de l’histoire). Les vues aériennes donnent à voir de très belles images du ciel, peinture maritime donnant sur un horizon embué par les fumées des destructions continentales, incarnant métaphoriquement les larmes gazières des tourments des jeunes soldats éperdus. La lorgnette du cinématographe capte crûment les longues étendues de sable des plages du nord, parfait empyrée de cette bataille en forme de siège désespéré, monotones, horizontales et balayées par les aquilons tempétueux serpentant dans l’ombre grisaillante. Certains plans au ralenti, faisant échos aux murmures langoureux des vagues font forte impression, incarnent l’inextricable, la consternation ambiante quant à un espoir de salut et l’impotence des individus face à la machine guerrière. La musique d’Hans Zimmer, une lapalissade, est au rendez-vous, englobe le tout dans un tragique répercutant le destin de ces années de mort. L’image et l’ambiance sonore répercutent à souhait ce siège total, air-terre-mer retentissant aux échos des obus, des Karabiner 98k, des Lebel ou des Lee-Enfield, des mitrailles des chasseurs, des tirs d’artillerie. L’immersion est totale au cœur des courageux Spitfires, en lutte face aux supérieurs Messerschmitt de la Luftwaffe, grâce aux caméras embarquées dans les cockpits, suivant au gré du vent, des virages et des looping serrés le mouvement des embarcations. Ces Spitfires, derniers espoirs des pions figés dans le sable, madones mécaniques assurant la sécurité des embarquements et de la traversée de l’étroite bande de mer sous les menaces multiples, nous prêtent leur œil pour apprécier le panorama complet de l’évacuation. À vingt mille lieues sous les airs, un étrange cortège cherche à tout prix à éviter obus d’artillerie et létales décharges de mitrailleuses. Une collection de navires venus de tous horizons (pas seulement les 370 little ships anglais qui ont sauvé 26 000 personnes, mais 848 navires en tout composés de caboteurs hollandais, de navires de pêches et de particuliers belges ou français) s’acharne à sauver le plus d’hommes abandonnés sur les plages du Nord.
Ce film est une histoire d’hommes mobilisant esprit et ruse pour fuir le théâtre des morts et rejoindre le théâtre des rêves, la patrie, la grande île sommeillant derrière le brouillard à l’horizon proche (80km à peine de Dunkerque). Il met en exergue une lutte inégale entre survie et extermination, entre courage et lâcheté, entre solidarité et égoïsme vital. L’accent scénaristique mis sur l’embarquement et la guerre des cieux masque malheureusement le réel intérêt de l’histoire de Dunkerque, la résistance unie des nations face à l’oppression et l’éradication. Difficile pour l’œuvre de s’extraire d’un certain chauvinisme anglo-saxon, de paraître crédible en omettant l’influence des autres pays dans l’évitement, voire la réussite, d’une catastrophe totalisante transformée en succès d’évacuation. De la même manière, les allemands sont représentés en agresseur inactif si on omet les quelques bombardiers faisant des dégâts mineurs. Où sont alors les 20 000 morts de la bataille et les 35 000 prisonniers rompus par le siège. L’esthétique réaliste et superbe ne masque pas les écueils d’ordre historiographique d’une odyssée qui aura marqué les rapports de force dans le présent et les consciences dans l’avenir.

Nicolas_Potdefer
6

Créée

le 13 juil. 2018

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