Bousculé, perturbé, désarçonné. De nombreuses émotions me parcourent à la sortie de la salle de cinéma mais l'une d'entre elles prédomine, une sensation de jamais vu. Plaisir de cinéphile comblé. Mais d'où vient ce vertige ? Eat the night est un film hybride qui imbrique la forme du cinéma et celle du jeu vidéo avec une grande justesse. D'emblée le sujet m'intéresse car jusqu'alors le cinéma français est toujours resté réfractaire pour accueillir les nouvelles technologies dans sa narration à contrario du jeu vidéo qui lui s'est très vite inspiré du cinéma.


D'autant plus qu'ici, le jeu ne se réduit pas seulement au point de départ de l'intrigue, il crée un lien fort unissant Apolline et son grand frère Pablo, et devient l'épicentre de leur relation. Darknoon se présente sous la forme d'un monde virtuel où les vastes plaines, le ciel violet et les décors aux allures gothiques contrastent avec la froideur des pavillons et centres commerciaux de la ville portuaire du Havre. Face à cet environnement lugubre, Darknoon apparait comme le lieu de tous les possibles, un refuge, une évasion vers d'autres horizons. Pour reprendre ses dires, Apolline ne joue pas, elle vit dans cet univers virtuel. De la même façon que les deux réalisateurs Jonathan Vinel et Caroline Poggi ont utilisé la motion capture lors de la conception du jeu pour faire vivre les avatars grâce à l'interprétation des acteurs.

Un défi technique hallucinant qui trouble notre regard et interroge notre perception des personnages. Comment interagissent et communiquent-t-ils dans un monde parallèle ? Et si le jeu vidéo était une manière de s'emparer de nos vies, de se réincarner en des personnages crées selon nos préférences, nos alter egos finalement. Donc quand un message annonce la fin du serveur de Darknoon, c'est une partie de son humanité qu'Apolline s'apprête à perdre ainsi que le lieu où elle se sent le mieux pour exprimer ses émotions, de la joie à la tristesse, en passant par la naissance d'un premier amour. Un décompte se lance et un cœur se brise. Un lent travelling s'avance vers Apolline dans les bras de Pablo pour mettre en valeur le réconfort du grand frère.


La vie de Pablo se heurte à la monstruosité du monde réel. Elle s'ancre dans un environnement urbain brumeux et grisâtre loin des couleurs lumineuses de Darknoon. Le montage son marque le passage d'un monde à l'autre par des coupes sèches, une musique électronique planante nous transporte dans l'univers du jeu vidéo et le vrombissement d'une moto nous renvoie à la réalité. Pablo vit à toute vitesse au rythme de sa bécane vert fluo. Il vend des amphétamines à tour de bras et attire les foudres de guerre des bandes rivales.


Au milieu de ce déchaînement de violence, Pablo tombe amoureux de Night, un troisième personnage entre dans l'équation. Après chaque nuit d'amour, ils se dévorent du regard d'où le titre du film. En plus de la perte du jeu, Apolline doit accepter l'idée que son frère s'émancipe. Dans ce tourbillon d'émotions fortes, les trois acteurs touchés par la grâce livrent une formidable prestation. Eat the Night est un film résolument pop qui dresse le portrait d'une jeunesse pas encore prête à quitter l'enfance mais capable vivre intensément les dernières minutes de sa propre existence.

ThomasDeq_
9
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le 31 juil. 2024

Critique lue 24 fois

Thomas Dequidt

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