Eaux troubles, parfois appelé Destins de femmes, est un film composé de trois segments qui prennent la forme de trois portraits de femmes sous l'ère Meiji, à la fin du XIXe siècle au Japon. Le film à sketches est plutôt à la mode dans les années 50, un peu partout dans le monde (États-Unis, France et Japon du moins), et la structure est très souvent bancale, au mieux, et disgracieuse au pire, avec à mon sens le sentiment fréquent que les parties qui le composent sont assemblées de manière artificielle. Ce n'est pas du tout le cas de celui-ci dont la structure est travaillée afin de produire un effet particulier : la durée va crescendo, 20 minutes, 40 minutes, puis 60 minutes, et l'intensité est à l'avenant, avec un premier segment proche du muet et arborant une lenteur singulière, tout en retenue, un second plus dynamique et un dernier particulièrement animé, bruyant, et aux conséquences les plus tragiques.


Ma préférence va clairement au tout premier, le plus simple, épuré et beau. Il développe une poésie du désespoir amoureux et de la solitude très pudique, tout en non-dits délicats. On aborde de manière franche la condition féminine à travers un mariage arrangé et une femme au bord du gouffre, mais aussi la rencontre fortuite avec une ancienne connaissance, à la faveur d'un trajet en pousse-pousse, avec une très belle scène de nuit dans une ruelle sombre et au clair de lune.


La seconde partie est à la fois plus classique est plus attendue dans la formulation d'un suspense peu consistant, comme une variation de Cendrillon. La situation de la servante maltraitée par ses employeurs et sollicitée par sa famille pour de l'argent, la précipitant face à un dilemme quelque peu artificiel, n'est pas d'une éloquence folle.


Le troisième et plus important segment ressemble à un film de Mizoguchi avec la vie dans un bordel et le destin d'une prostituée partagée essentiellement entre deux clients, l'un régulier, peu aimable, et cherchant à fuir sa famille, l'autre nouvellement rencontré et beaucoup plus attentionné à son égard. C'est celui qui dispose du plus de temps pour construire des personnages complexes. On file tout droit vers un final tragique au plus haut point, après avoir erré à travers les différents salons de l'établissement et observé les batifolages des différentes parties.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Eaux-troubles-de-Tadashi-Imai-1953

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le 18 janv. 2023

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Morrinson

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