El Aura
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El Aura

Film de Fabián Bielinsky (2006)

À force d’imaginer le braquage parfait, un homme des plus simples se retrouve un jour confronté à la mise en pratique de ses théories. Mais un petit détail suffit pour que toute la machine se dérègle tragiquement. Avec un sujet en or, Fabián Bielinsky réalise un film déséquilibré tantôt intimiste, tantôt virtuose, mais en tous points prometteur.

Un homme, allongé sur le sol froid d’une banque, reprend péniblement conscience. Une crise d’épilepsie l’a terrassé alors même qu’il retirait de l’argent à un guichet automatique. Pendant un temps non défini par le film, il a perdu toute emprise sur le réel. Esteban, de son prénom, mène une vie très banale, voire apathique où l’empaillage d’animaux reste sa principale activité. Mais contrairement aux apparences, le cerveau de ce bonhomme un brin balourd est en perpétuelle ébullition. Probablement en réaction à son handicap, il imagine inlassablement le braquage parfait, anticipant sur les réactions des uns et des autres, chronométrant à la minute près le temps nécessaire pour échapper à la police et éviter ainsi toute effusion de sang. De tels fantasmes, pris dans le contexte économique argentin actuel, ne sont pas anodins. Pourtant, si le milieu que dépeint Fabián Bielinsky est bel et bien celui des gens très modestes — premières victimes de la crise économique —, son œuvre n’a pas pour but d’être un pensum social. Ce qui l’intéresse avant tout, c’est le mécanisme du fantasme, le fait d’ausculter la manière dont cet homme croit dur comme fer qu’un « cerveau supérieur » peut maîtriser tout le déroulement d’un braquage, de son organisation à son application.

Lors d’une partie de chasse peu concluante, Esteban saisit bien malgré lui l’opportunité de mettre en pratique toutes ses théories. Il abat par erreur le plus gros braconnier de la région et découvre en fouillant dans son cabanon que le macchabée s’apprêtait à braquer le fourgon du plus grand casino de la région à qui il devait accessoirement une conséquente somme d’argent. Le « Cerveau » ne peut bien évidemment pas laisser passer pareille occasion et se présente, au terme d’une approche hésitante un peu longuette, aux complices aussi nerveux que stupides pour leur offrir ses services. Inutile d’en dire davantage, les événements ne se dérouleront pas comme prévu.

La première grande qualité du film est de ne jamais tomber dans la fascination pour son sujet. Privilégiant les « gueules cassées », des décors et une lumière naturels, El Aura se veut dans une veine on ne peut plus réaliste. Terne, jusque dans les couleurs saturées de gris, le second film de Fabián Bielinsky prend des accents de drame intimiste car il dresse avant tout le portrait d’un homme bouffé par la solitude, pour qui l’avenir n’est qu’un horizon morose et prévisible, entrecoupé d’absences soudaines dues à ses crises d’épilepsie. Ces instants, par ailleurs, font l’objet d’un tout autre traitement : la bande-son est saturée de bruits inquiétants, le montage alterne plans larges et gros plans sur les yeux révulsés. Le déséquilibre immédiat engendré par l’effet clipesque et un peu tape-à-l’œil de ces scènes rend cependant le reste d’autant plus terne que certains autres personnages, Diana notamment, souffrent d’un manque de consistance assez flagrant au point de n’être que les archétypes d’un film qui ne laisse finalement que très peu de place au hasard. La faute à un scénario qui a souhaité privilégier d’autres trames (une sombre attirance entre Esteban et Diana qui n’apporte pas grand-chose) alors que ce qui intéresse avant tout Fabián Bielinsky, c’est le passage à l’acte, l’organisation d’un braquage par un amateur fantasmeur.

En ce sens, la dernière partie du film est de loin la plus réussie car elle trouve un équilibre en abandonnant les trames précédemment exploitées. Les crises d’épilepsie d’Esteban prennent tout leur sens dramatique parce qu’elles sont d’emblée posées comme la source de dysfonctionnement, preuve que l’homme ne peut prétendre à une emprise totale sur les événements. Ce qui devait être un braquage professionnel, propre et rapide se transforme en un minable carnage. Mais surtout, Esteban devra faire un autre apprentissage. Lui qui vivait presque coupé des autres, devra comprendre qu’un des facteurs les plus importants et sur lesquels toute anticipation reste veine, c’est la confiance que l’on peut avoir en ses compagnons de fortune. Pas la révélation du siècle, mais un film qui gagne à être vu et qui confirme que Fabián Bielinsky reste l’un des grands espoirs du cinéma argentin.

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Auteur : Wesley
LeBlogDuCinéma
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le 20 sept. 2012

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