El Mariachi (Robert Rodriguez, Mexique/U.S.A, 1993, 1h18)

De l’aveux même de son réalisateur, ‘’El Mariachi’’ était plus un exercice pour se faire la main, qu’une œuvre réellement aboutie. Et bien, des exercices dans ce style ce serait bien d’en voir plus souvent. Cinéaste génial et excessivement généreux, Robert Rodriguez débarquait ainsi en 1992 avec ce microscopique film indé, empruntant autant aux productions bis mexicaines, qu’aux actioners made in Hong Kong des années 1980, dont l’influence est dans certains plans indéniables.


En développant une histoire d’une grande simplicité, dont il se fera un spécialiste, Rodriguez met en scène un vrai film de genre, tel que les années 1980 n’en proposaient plus. En effet le ciné indé’ s’effaçant complétement sous l’ère Reagan, du fait que les studios se sont mis à produire des séries B à la chaine. Mais histoire de cheater le game, ils l’ont fait en y injectant des millions de dollars ; cela eu pour conséquence d’en faire sévèrement pâtir le grindhouse des seventies et les circuits cinématographiques parallèles.


En 1992 lorsque ‘’El Mariachi’’ et ‘’Reservoir Dogs’’ sortent sur les écrans, c’est tout un pan du ciné indé américain qui se réinvente. En réintroduisant le genre au cœur d’un style de cinéma héritier et légitime du Nouvel Hollywood. Dont la source était, rappelons-le, la Nouvelle Vague Française. Ce gros mélange engendre des œuvres cools et funs, sans autres prétentions.


Robert Rodriguez, plus que Tarantino encore, est avant tout un artisan. Il suffit de jeter un œil sur les différents postes qu’il occupe dans le processus créatif de ‘’El Mariachi’’. En plus de la casquette de réalisateur, il est également scénariste, producteur, chef-opérateur, compositeur, éditeur son, monteur, et il s’occupe des effets-spéciaux. Une démarche qui n’est pas à voir comme une volonté d’omniscience, mais bien comme l’implication de l’artisan qu’il est.


Généreux par son humour à la con, complètement absurde, saupoudré de scènes d’actions gratuitement violentes, cheap et sans thunes, mais frénétiques et fortes d’une volonté de claquer visuellement, ‘’El Mariachi’’ remplit son contrat. Délire hybride entre un amateurisme assumé et une idée de l’actioner bourrin des années 1980, il y a dans ce film une patte indéniable, celle de Rodriguez, un cinéaste de l’instant, qui apporte à l’ensemble une ambiance ‘’What the Fuck’’ des plus efficaces.


De temps à autres il dépasse cette fine frontière du parodique, avec une bonne humeur communicative, tout en abusant d’un grain de folie bien avancé, au service d’une mise en scène que le scénario ne justifie absolument pas. Ce qui l’autorise à s’offrir un délire visuel ultra-fun à la frontière du cartoon.


Très violent, sanglant, drôle et audacieux, sans cesse ‘’El Mariachi’’ se prend faussement au sérieux, par l’adoption d’un style bien particulier, dont la nature délirante est renforcée par un casting particulièrement mauvais. La palme revenant au boss final, un comédien américain qui ne parlait pas un mot d’espagnol, qui apprit à réciter son texte sans savoir ce qu’il racontait.


La malice du cinéaste se retrouve jusque dans le nom des ennemis du Mariachi, dont la nature est révélatrice de l’humour débile d’un film qui ne veut surtout pas se prendre au sérieux. Ainsi parmi les bad guys se trouvent Piña (Ananas), Taco (Taco), Loco (Fou), Palma (Palmier), Azul (Bleu), Pepino (Concombre) et Moco (Calaud). Significations absurdes pour des méchants qui ne le sont pas moins, résidus de clichés ambulants de mexicains à moustaches.


Néanmoins, sous toute cette folie contrôlée Robert Rodriguez parvient à insuffler à son scénario une réelle veine tragique. Elle attrait à la romance occupant une place centrale dans le récit, et alimente un héros sans cesse iconisé par la mise en scène. Puisque ‘’El Mariachi’’ sous ses délires formels raconte une vraie histoire, avec des personnages attachants et une réelle construction dramatique.


L’amateurisme ambiant rend l’ensemble diablement sympathique, avec un simili-nihilisme jouissif, caractéristique du cinéma de Robert Rodriguez, qui permet d’en faire, en 1992, une œuvre absolument inédite. Mais ce je-m’en-foutisme de façade, au vu des multiples postes qu’il occupe sur ses productions, et donc l’abattage de travail qu’il accompli, fait partie d’un style, plus qu’une attitude.


Œuvre témoin s’il en est, à l’instar de ‘’Reservoir Dogs’’, il s’y retrouve une multitude de petits éléments qui feront évoluer le cinéma de Rodriguez en une aventure excitante. À commencer par l’über-iconisation de ses protagonistes, qu’il film avec tellement de profondeur, à la limite de la mise en abîme, et une certaine tendresse envers des héros tout pétés. S’y ajoute un décalage venant donner un gros coup de dépoussiérage au petit monde élitiste du ciné indé hollywoodien, trop souvent intellectualisé.


Lors du tournage, lorsqu’une scène était ratée, Rodriguez se contentait de changer l’angle de caméra, pour reprend là où c’était raté. Ce n’est pas quelqu’un qui se complait à chiader ses plans pour la postérité. Il a une histoire à raconter, il a un style à exprimer, et en gros il ne s’emmerde pas du reste. Alors des fois c’est raté, sa filmographie en dent de scie est en ce sens passionnante, mais c’est aussi ça qui le rend si terriblement sympathique. Car le type s’éclate, et il ne fait pas semblant, alors forcément, en tant que spectateur, il serait stupide de bouder son plaisir !


‘’El Mariachi’’ c’est vraiment top, c’est du cinéma qui invente son propre langage, en se défaisant de toutes contraintes, de toutes théories et de tout classicisme ; totalement dédouané des conventions en vigueurs à Hollywood en 1992. La contemporanéité de ce film avec ‘’Reservoir Dogs’’, scelles en quelque sorte les destins de Rodriguez et Tarantino, deux cinéastes aux regards diamétralement opposées, mais jouissivement complémentaires. Apparaissant comme deux sales gosses d’un cinéma postmoderniste qu’ils ont presque créé à eux tous seuls.


Pour terminer, sur une anecdote qui permet de bien prendre la mesure d’à quel point Robert Rodriguez est l’un des cinéastes contemporains les plus cools encore en activité : pour financier ‘’El Mariachi’’ il est allé jusqu’à vendre son corps à un hôpital, pour subir une expérience de tests médicaux.


Ce type voulait faire du cinéma à tout prix, et heureusement pour nous, grâce à la science il y est parvenu !


-Stork._

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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Anderson, Avary, Tarantino, Rodriguez, Wright, ou ''les Sales Gosses du Métamodernisme''

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le 22 sept. 2020

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