Dans un moment du film, Deborah Kerr pleure sur le pont du bateau et lance à Cary Grant : "that's what beauty does to me". La beauté, le film n'en a pas peur. Il la traque à chaque instant. C'est un cinéma qui a la grâce, qui est infiniment drôle et burlesque, qui ne cesse, par son humour et sa justesse, de rejoindre la vie. Le film est dans cette recherche permanente de la grâce, ce lien si ténu entre beauté et vérité. "C'est la vie, etc." dit Cary Grant en français dans le film - la vie qui n'est affaire que de mouvements, de circonvolutions, d'accidents et de regrets nourris, et qui se termine dans des souvenirs ressassés au fond d'une chapelle.
La grâce du film, elle est dans cette idée fixe que les personnages poursuivent sans cesse et que le récit s'amuse à faire dériver. C'est un cinéma qui pourtant n'a qu'une idée, celle d'orchestrer une étreinte, que les corps brûlants se frôlent et s'enlacent enfin - et la beauté se tend peut-être dans les obstacles qui délient la ligne pure du récit, comme ce moment fort du film, où Deborah Kerr subit un accident, simplement "parce qu'elle regardait en l'air vers le paradis" où son amour l'attendait ; la caméra épousant ce regard désirant dans un vertigineux travelling vertical. La grâce est là, dans la frustration, le suspens et l'intranquillité, le mystère d'une rencontre et son éclosion burlesque - où dans les scènes les plus drôles du film, l'on joue à s'éviter pour toujours finir par se retrouver. Et lorsque que dans une dernière scène très belle, Cary Grant vient retrouver Terry, on sourit d'abord parce que le dialogue est d'une immense cocasserie, mais surtout parce qu'on les sent enfin ensemble, et que rien de toute façon ne pouvait éviter cela. Ce qui rend le film si émouvant, c'est qu'il ne cesse de chercher à formaliser le désir, à l'inscrire dans la cadre, par une couleur, un regard, une chanson fredonnée au piano, le reflet d'une tour dans une vitre, une croûte accrochée sur un mur, l'empreinte d'un dos féminin contre un fauteuil ancien. Comme si malgré la fantaisie frustrante du récit, malgré les sentiments tortueux, quelque chose de plus fort planait au-dessus de lui. Pourtant, McCarey surprend car il montre un amour investi, totalement assumé - là où il aurait pu jouer la carte d'un amour qui assomme, qui fait des personnages deux pantins. Si le film est si beau, c'est qu'il ose montrer la trivialité des sentiments humains. Renoir parlait de McCarey comme du cinéaste qui avait le mieux compris les êtres, leur drôlerie, leur intelligence, leur finesse, mais aussi leur fierté et leur orgueil. "Tant que je ne pourrai pas courir vers lui, j'attendrai" dit Deborah Kerr à son ex-mari. Dans cette si belle réplique, il y a l'aveu d'une certitude, d'une force d'esprit pourtant sans cesse bousculée par le récit. C'est aussi la folie du film : l'amour ne vaut que s'il est affaire de courses, de changement brutal de vie. La beauté que pistait le film se trouve bien là - dans cette brutalité, et dans l'évidence de la rencontre finale, que la mise en scène n'avait jamais cessé de nous promettre.