Fille de Miou-miou et de Julien Clerc, Jeanne Herry a, comme tant de cinéastes débutants, voulu signer un premier long métrage où elle parle d'elle-même. Elle a choisi d'aborder la question de la célébrité, dans un scénario qui mêle à ce thème une histoire policière.
Puisque la cinéaste eut à subir le divorce de ses parents, son héroïne sera une mère célibataire, qui n'a pas eu la garde de ses enfants sans qu'on comprenne trop pourquoi - il eût fallu le justifier tant le cas est infiniment plus rare que dans l'autre sens. A part cela, elle a deux caractéristiques : 1) elle est fan de Vincent Lacroix, un chanteur populaire dans lequel on reconnaîtra, à son sourire ultra bright, son père (plus, à mon avis, que Patrick Bruel comme j'ai pu le lire) 2) elle est un poil mythomane, n'aimant rien tant qu'inventer des histoires pour épater la galerie, que celle-ci soit constituée de ses amis ou de ses enfants.
Cette personne ordinaire va basculer dans une vie extraordinaire le jour où son idole va sonner chez elle pour lui demander un "service" : convoyer un encombrant colis dans le coffre de sa propre voiture jusque chez sa soeur en Suisse sans même chercher à savoir ce qu'il y a dans ledit coffre. Rien que ça. Et notre Vincent a confiance dans le fait qu'elle va résister à regarder ! Ce ne sera pas la seule invraisemblance du film : alors que Muriel sera fortement soupçonnée par la police, étant donné qu'elle a enterré le corps tout près de chez sa mère (pas bien malin, ça non plus) et qu'elle change de version constamment sur sa journée du 15 octobre, elle s'en tire par une pirouette, évoquant une coïncidence quant à la bague de la victime retrouvée chez elle. Beaucoup l'ont trouvée brillante dans son improvisation ? J'ai surtout estimé que les flics se laissaient bien trop facilement embobiner. Dommage car jusque là, pour une fois au cinéma, ils n'avaient pas été trop mauvais. Le peigne de Tina Turner, anecdote réelle convoquée à titre de comparaison, semble investi de pouvoirs magiques...
Mais revenons à Vincent, qui a confiance : il lui décrit ce qu'elle doit faire, selon un déroulement dûment mis en images. L'occasion d'une petite pointe d'humour : il dit "elle te proposera un café" et on voit la soeur proposer un thé. Un peu plus tard, alors que Vincent demandait dans son courrier à sa soeur qu'elle parle d'une otite de l'un de ses fils pour faire comprendre qu'il y avait un problème, on l'entendra parler d'une gastro. Quelques finesses dans les dialogues qu'il faut saluer.
On approuvera aussi que la cinéaste tourne le dos à un cliché attendu : il n'y aura pas d'histoire d'amour entre le chanteur et son admiratrice, le premier continuant à considérer la seconde comme "une fan, rien quoi...", tout en lui laissant vaguement espérer autre chose pour obtenir sa collaboration. Pas d'histoire d'amour alors ? Mais, rappelle Jeanne Herry dans un bonus du DVD, "l'amour c'est important". C'est vrai, c'est important. Elle a donc attribué cet ingrédient essentiel à un couple de flics. Là aussi en tournant un peu le dos aux clichés : c'est madame qui a "le feu aux fesses" et non monsieur qui multiplie les infidélités. On sent chez la cinéaste la volonté un peu trop manifeste, presque militante, de renverser les rôles du patriarcat. Ce sera le cas aussi dans Pupille.
Toujours est-il que le truc tient difficilement debout : c'est lui qui veut se séparer au début alors qu'elle, de son côté, semble tenir à leur histoire. A la fin, le voilà de nouveau à fond, au point d'abandonner son enquête en découvrant qu'elle l'a de nouveau trompé. Tout ça pour quoi ? Pour trouver une pirouette faisant capoter l'accusation. Notre Antoine démissionne. Et sa volage de Coline, qui était au courant de tout, elle ne reprend pas l'enquête ? Une fois encore, la maison poulaga a les oreilles qui sifflent. Presque l'otite attendue.
Comme bien des premiers films, celui de Jeanne Herry est trop chargé scénaristiquement : qu'est-ce que cette enfant à qui Vincent lave les cheveux ? En quoi sert-elle le propos ? Fallait-il faire apparaître des cheveux blancs comme par magie dans un miroir, pour montrer ensuite la teinture que Vincent va acheter pour le dissimuler ? Si le sujet est vraiment la façon dont on vit la célébrité, il fallait faire un autre film.
Dommage car ce Elle l'adore n'est pas sans qualité. Les deux histoires que raconte Muriel, celle du type qui l'a pris pour une autre dans le métro devant ses enfants qui l'écoutent à peine, puis celle de la cliente qui serait la fille de Klaus Barbie, sont savoureuses. La mythomanie de Muriel se retournera contre elle lorsqu'elle tentera d'expliquer à son ami avocat, sceptique, ce qui lui est arrivé. Assez drôle. La scène du drame est également une réussite, joliment filmée, assez réaliste. Elle justifie assez bien la démarche de Vincent : on se dit qu'il lui sera difficile, en effet, de prouver son innocence. Surtout après le précédent Bertrand Cantat, auquel le film fait une fine allusion, en nous invitant à la prudence quant au jugement hâtif.
Globalement, l'ensemble est bien mené, on ne s'ennuie pas. L'interprétation (Sandrine Kiberlain, Laurent Laffite, Pascal Demolon, Olivia Côte) est impeccable. La réalisation, c'est une autre affaire : caméra à l'épaule, abus des gros plans, musique extra-diégétique convenue, tout cela vous a un air de mille fois vu. Ces forces et faiblesses seront confirmées dans Pupille. C’est Je verrai toujours vos visages qui est, de loin, sa plus belle réussite : il y a là bien plus de profondeur et d'émotion. En un mot, Jeanne Herry va, à mes yeux du moins, vers le mieux, prouvant qu'elle n'est pas qu'une "fille de". De quoi continuer à la suivre.