Biopic d'Emily Brontë revu et corrigé par l'actrice et désormais réalisatrice Frances O'Connor.

La réalisatrice s'attaque donc à cette autrice aussi secrète qu'énigmatique dont il est fréquent d'entendre dire qu'on ne sait pas grand chose d'elle. Il est donc possible de s'indigner voire de crier au scandale compte tenu de toutes les suppositions émises ici. L'ambition de la réalisatrice est clairement de démontrer comment Emily en est arrivée à écrire ce chef d'oeuvre de la littérature mondiale que sont Les hauts de Hurlevent. Pour cela, elle s'appuie sur la relation fusionnelle qu'entretenait Emily avec son frère Branwell ce qui n'est pas inconcevable car il est sans doute plus que probable que ce frère toxicomane et velléitaire soit à l'origine du personnage de Heatcliff.

Là où les dents risquent de grincer (les miennes ont grinçouillé) c'est qu'elle prête à Emily une idylle passionnée avec un très séduisant pasteur qui vient seconder le père Brontë dans la paroisse. Or tous les biographes s'entendent pour dire qu'Emily n'a jamais connu la moindre idylle au cours de sa courte vie. Sauvage et indomptée, elle arpentait la lande à longueur de journées et avait créé avec ses soeurs le pays de Gondal qu'elles nourrissaient de personnages auxquels elles s'identifiaient et d'aventures fantasques.

Ce qui enrichit et rehausse le génie d'Emily Brontë c'est que justement sans avoir presque jamais quitté le presbytère et la lande alentour, sans rien connaître du monde et des choses de l'amour, elle a pu concevoir un roman et des personnages tels que ceux qui hantent Les hauts de hurlevents, ce chef d'oeuvre absolu de la cruauté, de la haine, de la vengeance et... de l'amour. Ici la réalisatrice semble nous dire qu'une fille aussi isolée, solitaire et asociale ne peut être un écrivain de génie que si elle a connu les affres d'un amour perdu. On a donc du mal à croire que l'Emily que l'on connaît ait pu tomber en pâmoison devant un être aussi moralisateur et rigide que le mignon William.

Par ailleurs, on sait que les trois soeurs étaient intimement liées et proches les unes des autres tandis que Branwell et Emily entretenaient une relation absolument passionnée de complicité et d'admiration réciproque mais platonique. La réalisatrice fait d'Emily et Charlotte qu'elle dépeint comme une fille froide, sèche et rabat-joie deux soeurs ennemies. Alors que la plus jeune, Anne (elle n'a qu'un an de moins qu'Emily) est présentée comme une petite fille timide très en retrait. Jamais on ne les voit enflammées par le souffle de l'écriture qui pourtant emplissait leur vie. Et leurs romans phares parus la même année semblent ici ne pas avoir été écrits en même temps mais en réaction les uns par rapport aux autres.

Et pourtant, malgré ces incohérences ou aberrations, j'ai fini par me laisser emporter par le romantisme échevelé du film. Tout ce qui porte un jupon dans la petite ville de Haworth dans le Yorshire est émoustillé par le séduisant William qui débarque. Dès son premier sermon lors duquel il feint une certaine timidité, voit Dieu jusque dans la pluie qui tombe (et la pluie tombe beaucoup et souvent dans le conté) toute la gent féminine soupire et frétille de plaisir. Emily lève les yeux au ciel (la cascade des yeux effectuée par l'actrice à ce moment est d'ailleurs plutôt effrayante) et c'est évidemment la seule qui résiste et s'oppose à lui qui va l'attirer. Les émois et élans amoureux d'Emily sont accompagnés d'une musique lyrique qui oblige presque à participer à ses frissons. Ses relations et les scènes avec son frère Branwell avec qui elle partage l'opium (encore une extravagance scénaristique je pense) et une forme de spleen existentiel sont les plus belles et les plus profondes. Les plus cruelles aussi notamment lorsqu'Emily dit à Branwell ce qu'elle pense de ses écrits. Il faut dire qu'Emma MacKey et Fionn Whitehead forment un couple de héros romantiques, exaltés, incompris, mal dans leur peau et auto-destructeur pour Branwell, absolument délicieux et crédibles.

La bonne idée est celle qui consiste à reproduire des scènes de la vie quotidienne d'Emily comme des copies exactes de certaines du livre : le fantôme qui surgit à la fenêtre, Branwell qui dit à Emily "je suis toi" résonne comme le "Je suis Heatcliff" de Cathy dans les Hauts, les soirées d'Emily et Branwell passées à espionner les riches voisins puis à être poursuivis par des chiens hargneux, comme Heatcliff et Cathy espionnaient les Linton... Rien que pour ces moments qui remettent le livre en mémoire et donnent envie d'en reprendre une fois encore la lecture, le film est loin d'être indigne et puis son romantisme, son romanesque emportent tout sur son passage.

Mais LE film sur les Soeurs Brontë reste celui de Téchiné avec Isabelle Adjani tellement vibrante et indomptable dans le rôle d'Emily.

Créée

le 23 mars 2023

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