Enola Holmes
5.5
Enola Holmes

Film de Harry Bradbeer (2020)

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Troisième critique : mon avis sur Enola Holmes.

Dans mon entourage, je connais plusieurs “Enola” qui ne supportent pas mettre leur prénom à l’envers. “Enola” devient le mot “*alone*”. En anglais, cela signifie : “seul” ou “seule”. C’est aussi important pour elles que les autres ne remplacent pas leur “n” par un “b” transformant ce prénom par le nom d’un virus pas très glamour... Bref, nous en avons assez des virus. Revenons au sujet principal : qui est Enola Holmes ? Holmes, comme Sherlock Holmes (personnage de fiction créé par Arthur Conan Doyle) ? Il s’agit bien de la petite soeur du célèbre détective. Ce film s’est inspiré de livres écrits par Nancy Springer*. Il s’agit donc d’une adaptation. Pour moi, un problème se pose : je n’ai pas lu les aventures d’Enola, ni celles de Sherlock… Pas de panique, j’ai vu des films et des séries sur ce sujet ! Ouf ! 
Avant de m’engager au visionnage d’*Enola Holmes*, je me posais moultes questions : L’adaptation est-elle fidèle au livre ? S’agit-il d’une réécriture féministe ? Ce film est-il réalisé par un homme ou par une femme ? Quel type de public est visé ici ? Je m’attends à une réadaptation basculée dans le registre féministe comme : *Ghostbusters* (2016, Paul Feig), *Men In Black : International* (2019, Felix Gary Gray), *Terminator : Dark Fate* (2019, Tim Miller), ainsi que la série *Snowpiercer* (2020, James Hawes, Sam Miller, Helen Shaver, Frederick E.O. Toye, David Frazee, Leslie Hope, Clare Kilner, Rebecca Rodriguez, Christoph Schrewe et Everardo Gout). En premier lieu, je ne voyais qu’une parodie de ces premiers films au lieu d’inventer une nouvelle histoire. En second lieu, je me suis dit que ce type d’adaptation nous invite à redécouvrir une histoire du point de vue féminin, de manière intelligible puisque l’on critique les genres et les contextes. La représentation des femmes pose question au cinéma dans la mesure où la relation entre les genres n’est pas égale dans les pays du monde entier. Le milieu du cinéma peut être perçu comme un reflet de notre société. Il peut y avoir différentes représentations des femmes, non-seulement dans divers pays mais également selon diverses époques. Pour résumer très brièvement l’évolution des femmes dans les pays les “plus développés géographiquement parlant” et particulièrement en Occident : il y avait auparavant un rapport d’érotisation du corps souvent réduit à l’état d’objet et puis, les femmes ont eu de plus en plus de droits et de plus en plus de libertés. A notre époque, il existe toujours des inégalités de genres dans nos “pays développés”. En parallèle, nous pouvons mettre en relation le mouvement #Metoo dont se sont emparées certaines féministes. Sans surprise, il y a des films comme *Enola Holmes*, produits par des hommes, destinés à un public jeune, qui apparaissent sur nos écrans. Il y a clairement un rapport à la sociologie à étudier ici. Je ne peux pas éviter cet exercice critique. Comme vous l’aurez compris, j’ai cliqué sur la miniature du film depuis mon abonnement Netflix et mon premier étonnement se place sur l’âge des “spectateurs” du film : “déconseillé aux moins de 13 ans”. Pourquoi exclure les moins de 13 ans ? Le titre, le résumé, le trailer nous laissent penser qu’il s’agit d’un film que tout le monde peut voir.

LE PITCH


Enola (Millie Bobby Brown), 16 ans, petite sœur de Mycroft Holmes (Sam Claffin) et de Sherlock Holmes (Henry Cavill), a pour but de retrouver leur mère (Helena Bonham Carter). A la disparition de Ms Holmes, le destin d’Enola est mis à l’épreuve. Ses frères prévoient de l’envoyer dans un pensionnat pour jeunes filles afin de recevoir une éducation patriarcale... Sa mère lui a déjà appris tout ce qu’elle devait savoir. Cela ne lui plaît pas et elle fugue. Sur le chemin, elle entame une vie à laquelle elle n’avait encore pas eu le droit : l’indépendance. L’excitation s’empare de la jeune fille. Son attention est aussi retenue par un jeune garçon (interprété par Louis Partridge) qui tente d’échapper à la mort. Comme Enola, il aspire à une vie libre et où il est à sa place. 

I - LES POINTS FORTS


Les intentions du récit


Il nous est montré une relation mère/fille (entre Helena Bonham Carter et Millie Bobby Brown) via des animations, des flashbacks et des correspondances. Il nous est aussi montré une relation frères/soeur (entre Sam Claffin, Henry Cavill et Millie Bobby Brown) distante s’expliquant par la différence d’âge et la différence de sexe montrés par le moyen de l’animation, de l’évocation du passé d’Enola et de Sherlock, par les différences de langages et de comportements des trois personnages. La mise en scène fait d’Enola le seul personnage qui brise le 4ème mur. Il s’agit du personnage principal du film. Elle s’adresse à nous à de multiples reprises et nous échange des regards directs (des regards-caméra). Le jeu de l’actrice est un bon point. Le film prend la position d’un “récit d’apprentissage” ou d’un  “conte initiatique”. Pour information, cela correspond en littérature au genre du “*bildungsroman*”. Cette structure est essentiellement fondée sur l’histoire d’un jeune héros. Il voyage généralement seul. Il se forge sa propre vision de la vie morale et intellectuelle. Il est possible que l’autrice d’Enola Holmes l’est abordée de la même façon. Le choix du prénom coïncide avec l’histoire du personnage et de sa quête d’identité. On ne nous donne pas cette information au hasard mais pour lui donner du sens. Le personnage enraciné par la solitude se construit en tant que sujet actif par le biais de l’intervention de divers personnages. 

Le personnage d’Enola


Enola se fait passer pour un jeune homme (en empruntant de vieux vêtements ayant appartenus à son frère Sherlock) dans un contexte où s’habiller en garçon n’était pas bien vu, surtout dans le milieu bourgeois. Aujourd’hui, il y a des personnalités qui lancent des projets modes pour lutter contre cette classification vestimentaire genrée et les complexes. Cependant, pour le film, c’est très bien choisi en fonction du contexte parce que cela parle à tout le monde. La classification des sexes par les vêtements posent beaucoup de questions et on joue avec dans une oeuvre artistique.
Enola est adolescente et pourtant, dès le début, elle agit comme une adulte (plus mature que les autres adultes du film). Nous pouvons relever plusieurs passages. Au moment de sa fugue, elle a pensé à payer la gouvernante pour ses services sachant qu’elle n’est pas au courant de sa fuite et a juste trouvé l’enveloppe. Enola pense aux autres et montre ainsi son indépendance. Lorsqu’elle est à Londres, elle s’achète un petit appartement et de nouveaux habits. D’ailleurs, en parlant de vêtement, parlons de sous-vêtement. Enola choisit de porter un corset non pour être considérée comme une “vraie femme” mais pour y dissimuler des objets. Elle explique ce choix. Comme le soutien-gorge, c’est un objet vivement critiqué et même banni par certaines féministes. Au lieu de sexualiser une adolescente, l’autrice ou le scénariste (je n’ai pas lu le livre donc je ne peux pas savoir d’où vient cette idée) lui donne plus de vraisemblance. Le film ne fait pas outrage aux femmes et montre que l’on respecte ce choix d’en porter un ou non. Tout comme le fait que chacun s’habille comme il veut.

L’entraide dans ce film est très bien abordée. C’est une chose que l’on oublie souvent face aux problèmes du quotidien. Enola adhère aux principes “des droits communs” en aidant un jeune homme, du même âge qu’elle et lui permet de retrouver sa place au sein de sa famille. Elle a fait un choix en s’intéressant à la situation du jeune garçon. Elle ne le fait pas pour elle et partage son expérience à un innocent. Parmis les autres qualités d’Enola : elle sait se battre, elle trouve le moyen de communiquer avec sa mère en correspondant. Elles n’utilisent pas les lettres mais plutôt des messages codés, publiés dans un journal. Enola fait preuve de persévérance même si son principal repère (sa mère) a disparu. [Vous retrouverez dans les encadrés gris, des morceaux de la critique que je considère être du "spoil" donc à lire si vous avez vu le film en glissant votre souris dessus ou à zapper si vous ne l'avez pas vu.]


La confiance qu’elle partage avec sa mère est bien mis en scène puisque cela leur permet de se retrouver à la fin.


Le film n’est pas une histoire d’amour puisque la relation dominante, c’est la relation mère/fille. Le but est de montrer comment une jeune fille va devenir une femme (autrement que par l’évocation de la sexualité).


Le film évoque de manière assumé son engagement auprès des femmes dans la lutte des droits communs. Faut-il rappeler les combats pour le droit de vote des femmes en Angleterre ou ailleurs dans le monde ? Ce sujet dépasse la politique. Toute personne sur Terre cherche à trouver sa place et *Enola Holmes* en rend compte.
En revanche, des éléments peuvent tout de même nous titiller sur certains points.

II - LES POINTS FAIBLES


Des problèmes de scénario


La quête d’identité est devenue banale au cinéma. Il faut prendre des précautions pour s’approprier ce thème. Les phrases fortes et naïves telles : “*Notre avenir nous appartient*”, “*Vis ta vie pour te trouver toi*”, “*Enola ne connaît rien du monde extérieur*”, “*Tu auras toujours le choix, quoi que la société puisse prétendre, tu es un être libre*”, nous laissent penser que ce film est destiné à un jeune public. Ces répliques nous laissent dans l’incompréhension face à la fameuse étiquette : “déconseillé aux moins de 13 ans”. Comment ce film est-il censé ouvrir l’esprit des adolescents ? Pourquoi ne pas le montrer à des enfants pour les aider à se trouver eux-mêmes ? Cela pourrait aider beaucoup de personnes à se sentir mieux dans la vie. Cette lutte des droits communs est essentielle pour le bon développement de la société. Ce film permet d’apporter cette vision aux spectateurs et nous pouvons en tirer des leçons sur notre quête d’identité à tous. 

Le fait que nous apprenons seulement au final, ce que faisait la mère d’Enola pendant tout ce temps n’est pas forcément bien abordé. J’aurai aimé plus d’explications (même s’il y a eu des indices). J’ai eu l’impression d'un effet de censure dans les dialogues de fin...


Des problèmes sur la représentation de l’absence du père


La maison des Holmes me paraît horrible au début du film. J’ai passé mon temps à critiquer la pagaille du jardin et à me dire que la maison était mal rangée au lieu de me concentrer sur les dialogues et les personnages. Le manque d’entretien traduit certainement l’absence d’équilibre au sein du foyer d’un côté masculin. J’en viens à l’absence paternelle. Cette vision m’est apparue dérangeante dans l’introduction de l’oeuvre car oui, si les femmes entretiennent la maison, les hommes peuvent bien entretenir le jardin ! Il n’y a plus de père alors l’état de cet espace se dégrade. C’est complètement dérangeant comme caractérisation… De plus, le jardin n’a pas besoin d’être souvent entretenu. Ayant l’habitude d’entretenir : une maison, un appartement et un immense jardin en même temps que mes études et mes activités en parallèles, j’ai du mal à comprendre cette représentation de la maison abandonnée. En plus, elles ont une domestique !

Les grands frères d’Enola s’interrogent vis-à-vis des rapports familiaux lors de la disparition de leur mère : comment élever Enola maintenant ? Malheureusement, leur questionnement à propos d’Enola n’est pas long et est toujours décevant notamment par l’arrivée d’une éducatrice. Le plus vieux des frères se prend pour le père et traite Enola de “sauvageonne” et de personne “trop émotive”. Ce jugement nous déplaît car cette solitude plaît à Enola. Nous éprouvons déjà de l’empathie pour elle. En somme, il nous est présenté une famille incomplète fondée sur le manque de respect entre les sexes. Le personnage de Sherlock est seulement présent pour apporter cette confiance chez Enola. Selon moi, il n’est pas aussi incarné que le Sherlock interprété par Robert Downey Jr. dans Sherlock Holmes : A Game of Shadows (2011, Guy Ritchie)... Sherlock est chic. Or, il se retrouve plat et peu utile. C’est probablement un des arguments de promotion du film…


AVIS GENERAL


Un film se propose comme objet d’étude et à partir de ce moment nous pouvons évoquer divers points de vue. Certaines questions posées par les scénaristes peuvent paraître maladroites : “est-ce que l’on crée une histoire avec un air moderne ? ou, est-ce que l’on reste dans un registre plus adapté au contexte historique du récit que l’on veut raconter ?”. Dans cette démarche féministe, le scénariste crée une émotion à partir d’un malaise en société. Le problème véritable peut passer comme si “de rien n’était” ou au contraire, cela peut inviter les spectateurs à défendre telles ou telles idées dans la vie réelle. Si *Enola Holmes* sortait en salle de cinéma, il serait plus étudié. Sur Netflix, le film donne l’impression d’être seulement quelque chose que l’on consomme... Le message transmis aux jeunes filles-spectatrices, c’est d’affirmer leurs choix dans la vie, de se demander chaque jour ce qu’elles peuvent apporter à la société. Pour moi, ce film peut être vue par des personnes plus jeunes face au malaise existentiel féminin dans ce cas, tout en expliquant les différentes réflexions et apports faits depuis cette époque et ce qu’il reste à faire (vers un horizon de droits communs). “Le patriarcat, c’est fini en 2020 donc il faut voir les choses autrement”, information fausse… Cela existe toujours. 
*Enola Holmes* est beaucoup critiquée ici. Donnez-moi un exemple de grande critique ciné française qui en parle... Ce film divertissant n’est pas abordé par les professionnels et c’est dommage car le public visé aime en débattre et aime connaître l’avis de spécialistes. Il ne faut pas qu’un film, qu’une critique, que la vie soient élitistes. Il faut que cela soit accessible à tous.

La Salamandre





  • On me dit dans l’oreillette que l’autrice a eu des problèmes par rapport à ses ouvrages : “Certains puristes trouvent anormal qu’elle se réapproprie le monde de Sherlock Holmes et qu’elle invente le personnage de la petite soeur” (by Mazarine).

    Vous pouvez vous faire votre propre avis en consultant les versions françaises publiées aux éditions Nathan et en consultant le film sur Netflix.



J’ai réalisé cette critique pour ma satisfaction personnelle et non dans le cadre de mes études. Je remercie mes collaborateurs et correcteurs : Ethan Stuby, Mazarine Laachi et Céline Neves.

LaSalamandreFilme
6

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Créée

le 19 oct. 2020

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