Plus forte est la lumière, plus grandes sont les ombres...

Kim Ki-duk est vraisemblablement celui qui a le mieux traité au cinéma la vision symboliste. Son "Printemps, été, automne, hiver et printemps" en est le plus brillant exemple. On peut citer dans cette veine "Time" qui même s'il est moins réussi, parvient aussi à charmer le spectateur. Kim Ki-duk sait également filmer l'amour, l'incroyable amour, tel celui vécu par le "passe muraille" de "Locataires" mais aussi celui de "Souffle" toute en sensibilité mais jamais en sensiblerie. Mais Kim Ki-duk, tout esthète et poète qu'il soit est surtout un homme de son temps. Il ne manque jamais de rappeler que sa moitié de patrie est en guerre froide avec l'autre partie de moitié, les deux formant la Corée. L'œil vif, la critique incisive il s'attache souvent à la vie des "petites gens" écrasés par un système économique et politique lourd et contraignant dont les destins sont souvent contrariés comme l'hôtesse de "L'île" ou encore cette sublime mère courage de "Piéta". Avec "Entre deux rives" il change totalement de style optant pour un ultra réalisme cruel mais qui reste toutefois en lien avec sa filmographie.


Ici, il ne susurre ni ne suggère, il en serait presque à filmer sous un état de colère froide, signe d'un désabusement face à cette situation qui perdure et tend à s'aggraver. Globalement cela donne un film assez autoritaire, ou loin de se poser en juge pour tel ou tel régime, il ne fait que rappeler que les deux parties de la Corée sont semblables dans leurs contradictions et révèle de fait la faille qui n'a de cesse de s'élargir. L'heure n'est donc plus à la réflexion, mais à l'action.


Pour ce faire, Kim Ki-duk opte pour une construction très occidentale de film, rappelant cette vague d'oeuvres autour de la guerre froide entre "Le rideau déchiré" et "Le troisième homme" en passant par "La lettre du Kremlin" ou encore "Les années du mur". Ce parallèle est une manière d'insister sur les souffrances du peuple des deux Corées, souffrances identiques subies par certains pays européens ou de l'est. Et pour amener le degré exacerbé de l'humain et pour éviter également toute récupération romanesque, il introduit ce personnage emblématique de Nan Chui-woo, humble pêcheur du Nord dont la barque va dériver jusqu'aux eaux territoriales du Sud.


Nan Chui-woo, intercepté est soupçonné bien évidemment d'être un espion des deux côtés. D'abord au Sud, puis au Nord... Un terrible mécanisme Kafkaïen se met en place il sera impossible pour lui, comme pour les officiels des deux pays, de revenir en arrière. Ce qui aurait pu devenir une espèce de film de propagande se transforme en une critique assez sévère des deux régimes. Au Nord, le conditionnement intellectuel et la peur confinent à subir la pauvreté et donc abêtir l'individu, au Sud, l'individu lui est perverti par la sur consommation et l'argent. Schéma un peu ténu et simpliste mais qui a au moins le mérite d'être exprimé avec conviction. Il faut parfois rappeler l'évidence...


D'autant plus que ce qui intéresse Kim Ki-duk c'est l'avenir qui se prépare avec la génération montante incarnée par le personnage de Oh Jin-woo (garde du corps de Nan). Sa vision est nettement plus distante par rapport au passé, il ne juge pas un état de faits mais bel et bien les actes. Il est le symbole du renouvellement de l'esprit, plus prompt à la compréhension et à la paix.
Kim Ki-duk comme Nan Chui-woo sont des hommes du passé, ils se sont battus, ont donné l'exemple, mais sont fatigués. Maintenant seule la jeunesse d'aujourd'hui et de demain trouvera la clé de la réunification.


Moins aérien que ses précédents films Kim Ki-duk nous propose toutefois des séquences ou plans exceptionnels, je pense notamment à la scène de la douche où Nan meurtri recroquevillé sur lui même se dédouble dans un reflet d'eau à l'image d'un pays divisé en souffrance, ou encore celle de la photo officielle où on le force à sourire "avec les dents" alors que ses yeux sont constellés de larmes... Une fois encore son film n'a pas fini de hanter l'esprit.


Je terminerai par les acteurs. Ryoo Seung-bum dans le rôle de Nan, homme dur et droit, est irrésistible d'authenticité au point qu'on se battrai pour le voir libérer. Mais celui qui emporte la palme c'est bien Lee Won-Geun le jeune garde du corps. Sa palette de jeu entre sensibilité et insoumission est étonnante. Il est promis à une très belle carrière.

Fritz_Langueur
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le 3 janv. 2018

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