Je n'avais encore jamais vu un bon film de Willy Rozier; c'est chose faite.
D'après un roman qui fait explicitement référence à Roméo et Juliette, le film a d'abord le ton et l'apparence d'un Clochemerle et d'une comédie villageoise avant que l'antagonisme entre deux paysans avides, à propos d'un bout de terre insignifiant, ne ramène le sujet vers la chronique rurale âpre. Son enjeu, ce sont les enfants respectifs de Martin (Larquey) et d'Aubert (Constant Rémy) et plus précisément, lorsque devenus adolescents, Pierre et Isabelle voient leur amour menacé par la querelle des pères. Et si le film de Rozier porte un certain "suspense", c'est celui de ne pas annoncer s'il connaitra un heureux dénouement, suivant la fantaisie attachée à certains habitants, ou s'il suivra jusqu'au bout le modèle de Roméo et Juliette.
La valeur du film se mesure à la capacité du réalisateur de mettre en scène de vraies ou pittoresques figures de la campagne - avec notamment le truculent Sinoël et le vénérable Anthony Gildès, possiblement le plus âgé des comédiens du cinéma parlant français- grâce à la valeur de l'interprétation et à la qualité de la direction d'acteurs, sans préjudice de plans où la nature est belle, poétique et lyrique. On voit, à travers les gros plans sur les visages, que Rozier s'attache à montrer la vérité ou l'émotion qui émane des acteurs.
Larquey et Rémy, en quelques scènes, existent pleinement en paysans madrés et personnifications de la mentalité rurale. Leurs premières scènes sont très amusantes et éloquentes dans l'expression de la mesquinerie paysanne. Les jeunes Robert Lynen et Jacqueline Roman sont également très bons et très justes, pas du tout dans la mièvrerie ou l'affectation attachées trop souvent à une certaine conception romantique.
Un film attachant.