Roberto Rossellini remporte en 1946 la Palme d’Or pour son œuvre Roma, città aperta ce qui, par la même occasion, met en lumière le néoréalisme italien. Ce film est en effet considéré comme l’un des films fondateurs du cinéma néoréaliste italien.


En 1953, sort Europe 51. Ingrid Bergman y interprète une bourgeoise mariée à un riche homme d’affaires. Son jeune fils, sensible et se sentant négligé, décide de mettre fin à ses jours en se jetant dans les escaliers. Finalement, il meurt le jour suivant l’accident d’une embolie pulmonaire, ce qui va bouleverser sa mère. Sa perception de la vie va alors être remise totalement en question.
Le dialogue d’ouverture entre une femme âgée et un homme donne le ton du film :



- J’en peux plus. J’ai mal aux pieds.
- Saleté de grève.
- Et ta conscience sociale ?
- Et toi, t’en as une ?
- Oui.
- Et t’as pas mal aux pieds ?
- À ton avis !



À travers cette bribe de conversation, Rossellini nous fait entrer dans l’Italie du début des années 50. Le contexte social y est installé, avec une légère pointe d’humour.


Europe 51 a pour force sa faiblesse, et vice-versa. En effet, on semble voir un film partisan consistant à opposer deux idéologies, sans subtilité et de manière manichéenne. Le communisme incarne le bien, l’idéologie qui aide les autres. Le capitalisme, représenté par l’impérialisme américain est vivement critiqué. C’est d’ailleurs à cause de cet impérialisme qu’une famille issue des quartiers populaires ne peut pas soigner leur enfant.


À travers la mort de l’enfant d’Irène, c’est tout un système qui est condamné. Andrea, le journaliste communiste et cousin du mari de l’héroïne tente de remonter le moral d’Irène (Ingrid Bergman) en lui disant que ce n’est pas de sa faute si son enfant est mort : « C’est la faute de la société qui permet des horreurs. ». Ces horreurs sont les conséquences directes de la guerre. La guerre, permise par le monde des adultes est confrontée à l’innocence des enfants.
Le propos du film est fort, mais semble parfois manquer de mesure.


Seulement, dans la seconde partie du film, le film prend une autre tournure. Irène fait le don de sa personne au service du collectif (ce qui fait écho au Manifeste du Parti Communiste) sans pourtant se définir comme étant une communiste. Aux yeux des cadres de la société (médecins, juges…), elle est devenue folle et doit être internée. En d’autres termes, le communisme, c’est de la folie. D’ailleurs, plus tôt dans le film, on entendait dire que les américains chassaient les communistes dans leur pays. À travers leurs interventions en Europe, les Américains ne souhaitent pas juste aider les autres, ils souhaitent diffuser leur idéologie capitaliste et diaboliser le communisme. C’est l’essence même de la Guerre Froide.
Dans le film, l’Italie reçoit des aides des États-Unis, donc en adopte les principes. C’est pourquoi, la bonté et la piété d’Irène qui souhaite se racheter semblent être de la pure folie. Pourtant quand le prêtre lui rend visite à la clinique psychiatrique, elle dit qu’elle ne fait pas ça par amour pour les autres, mais plutôt par haine pour elle-même. Elle déclare « Mon amour pour les autres naît de la haine que j’ai pour moi-même et pour tout ce que j’ai possédé. ». L’idée de possession est importante puisqu’elle oppose les deux idéologies de la Guerre Froide, l’une défendant la propriété privée, l’autre non.


La grande puissance du film réside ici : la petite histoire s’inscrit dans la Grande. C’est comme si une schématisation de la Guerre Froide se perpétrait dans la tête d’Irène : un conflit entre ce qu’elle a été et ce qu’elle souhaite devenir.
Europe 51 est une œuvre riche, qui parfois manque de subtilité mais en même temps, l’essence du cinéma néoréaliste italien n’est-elle pas d’être politique ?


La conclusion du film est très intéressante.
« Quand il s’agit de notions religieuses ou sociales, il est difficile de juger de façon absolue. Aujourd’hui, il n’y a plus de vérité. Tout n’est que propagande et séduction. »
Le comportement d’Irène questionne la vision du monde des médecins et juges. Et si elle avait raison ? Alors, mieux vaut-il persister dans son erreur pour se protéger ou assumer ses erreurs pour se libérer ?
Pourtant, même si elle reste derrière les barreaux, Irène apparaît comme une sainte « C’est une sainte, c’est une sainte. » et nous montre que le don de soi est au mieux glorifié, mais dans la plupart des cas méprisé et ignoré.


(Sinon, j'ai eu l'impression de ressentir l'atmosphère de Casablanca à certains moments, peut-être parce que Alexander Knox me fait beaucoup penser à H. Bogart?)


(7,5)

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le 29 avr. 2020

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sachamnry

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