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"Europe 51": tout un programme, comme un film qui se voudrait l'instantané d'une époque. L'ampleur de l'ambition n'exclut pas certains raccourcis théâtraux comme cette opposition binaire entre classes sociales qui rythme le film (mais c'est peut-être l'époque qui veut ça, je ne suis pas un spécialiste).

Au récit liminaire de ce pauvre Michel, enfant sensible dont les gâteries de parents trop pressés de jouir de la vie retrouvée n'effaceront jamais le malheur d'être né au moment où l'Europe s'embrasait, succède l'histoire proprement dite. Une femme de la grande bourgeoisie industrielle romaine, frappée par ce drame, sombre dans une crise existentielle qui n'aura pour issue qu'une absolue dénégation de soi-même sublimée dans l'amour inconditionnel du prochain (attention ça tourne mal).

Au cours de cette lente descente au paradis, seront pris à temoin et renvoyés dos-à-dos tous les directeurs de conscience que cet absolu désespère: mari, parents, avocats, commissaires... même le rédacteur en chef communiste, en début de film utile passeur de notre sainte laïque vers la réalité sociale, se retrouve comme annulé par la réalité elle-même, et ses belles promesses d'ennoblissement de la bête humaine par le travail comme réduites à un nouvel avatar d'un idéal productiviste qui n'aurait rien à envier à la société bourgeoise.

C'est que chacun voit midi devant sa porte dans ce film, tandis qu'Irène le cherche chez les autres, le regard toujours tourné vers l'extérieur, à travers ces fenêtres grandes ouvertes qui ponctuent son passage d'un milieu à un autre dans son sacerdoce. Et cet évangile moderne qui renverse les puissances trouve son dénouement logique dans le scandale d'un internement décidé par un sanhédrin de notables.

La narration du film, simple mais ingénieuse, alterne scènes de dialogue avec l'entourage d'Irène et scenes d'immersion dans le quotidien des pauvres, avec son lot d'images d'Épinal (la mère célibataire, le jeune délinquant, la prostituée chez les pauvres, le mari jaloux, l'avocat véreux, le journaliste suborneur chez les riches). Heureusement, les poncifs qui en feraient un film à thèse sont généralement évités grâce à la finesse des dialogues, et surtout à la présence d'Irène qui jette un halo de lumière sur tout ce qui l'entoure (le film joue très bien avec les contrastes de noir et de blanc à ce titre). On ressort pas moins avec un goût d'inachevé de cette espèce de mini-fresque sociale, mais il faut dire que notre habitude des longs arcs narratifs offerts par les séries nous rend peut-être plus exigeants à cet égard.

Jipperzobb
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le 28 août 2021

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le 28 août 2021

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