Une femme devenue icône, un pays en perpétuelle révolution, l’image d’un corps qui disparaît dans l’histoire d’une nation, voilà de quoi nous parle le dernier film de Pablo Aguero. Ce n’est pas un biopic que nous propose le réalisateur mais bien un film dramatique qui suit l’histoire du corps de la femme qui fût et restera surement la plus célèbre d’Argentine : Eva Perón. 
Morte à l’âge de 33 ans, Eva Perón sera tout d’abord embaumée. Puis, dans un contexte de révolution et de guerre civile son corps sera volé par les militaires au pouvoir. Nul ne sait alors ce qu’il en adviendra jusqu’en 1974 où celui-ci sera ramené au pays pour être définitivement enterré par l’amiral Emilio Eduardo Massera. Entre images d’archives et créations du cinéaste, le film se présente comme une succession de scènes elliptiques, évoquant des brides du passé, des morceaux fragmentés de l’histoire d’une nation. Cette succession de scènes est renforcée par une musique rock’n’roll qui dynamise le tout. Cependant, ce que nous pourrions reprocher au réalisateur, c’est de perdre son spectateur dans cet entrelacs scénique. En l’emmenant de-ci de-là, sans raisons apparentes, sans justifications des passages sélectionnés, il décrédibilise malheureusement certaines scènes. Néanmoins notre cinéaste se rattrape en nous livrant de beaux plans, audacieux et travaillés, comme le premier dans lequel on ne peut s’empêcher de sentir l’influence d’Orange Mécanique.
Toucher au corps d’Eva Perón, ce n’était pas seulement parler de la femme, c’était aussi toucher au symbole, à la chair même du populisme, du péronisme. Le film nous montre ainsi un pays déchiré entre un peuple qui aspire à plus de liberté et des dictatures répressives. C’est donc le corps social tout entier qui souffre au travers du corps d’Evita, bafoué, malmené. Sans jamais être directement présente, Evita se trouve pourtant toujours là, évoquée par un chignon, une photographie, un cercueil… Son corps accapare symboliquement l’espace, va jusqu’à prendre la supériorité sur les vivants en étant la cause même de leurs faits et gestes.
Toujours intimement liée au pouvoir dictatorial, la religion est corrompue ; la religion est violente. La religion s’associe au pouvoir comme pour mieux lutter contre le mythe naissant d’une nouvelle icône. « Dieu est juste » déclarait l’armée avant de bombarder son propre peuple. Ces paroles hantent le film, lui donnent toute sa symbolique, toute sa profondeur. La mort plane toujours, prend le dessus sur la vie. Malgré une lutte incessante entre les deux, on ne tue pas l’image d’une idée et le péronisme vit et se construit sur l’image de cette femme : Eva Perón.
Pablo Aguero par son film nous invite donc à vivre une expérience, il cherche à éveiller la sensibilité du spectateur, à réveiller un passé qui s’enfouit progressivement pour ne pas oublier l’histoire d’une nation, l’histoire d’une femme, l’histoire d’un symbole.
Armand_P
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le 9 juil. 2018

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