Extrême Préjudice fait partie de ces films à la genèse compliquée qui se retrouve dans sa nature hybride entre western et film d’action. A l’origine du projet on trouve une figure légendaire du cinéma US des années 70, John Milius, passé à la postérité pour avoir réalisé et quasiment écrit (il remania complètement le script du jeune Oliver Stone) Conan le barbare. Milius est un personnage complexe, surfeur zen mais de droite dure, admirateur des conquérants et des révolutionnaires. On trouve sa trace dans une foule de projets comme scénariste (Jeremiah Johnson, 1941, Magnum Force ou bien sur Apocalypse Now pour lequel il est nommé à l’Oscar du meilleur scénario). Le titre Extrême Préjudice trouve d’ailleurs son origine dans un dialogue du film de Coppola. Milius avait l’ambition de le réaliser et d’en faire un « film de Costa Gavras de droite » suivant une unité secrète clandestine déployée sur le sol américain, mais il choisira finalement son projet de film de surf Big Wednesday. Le projet atterri une première fois dans les mains de Walter Hill avant d’être racheté par Carolco Pictures qui veut le confier à son réalisateur de Rambo Ted Kotcheff Le projet revient finalement dans l’escarcelle de Walter Hill qui fait réécrire le script par Harry Kleiner auteur de Bullitt et Deric Washburn (ce dernier a collaboré avec Michael Cimino sur The Deer Hunter).


L’intrigue suit deux amis d’enfance qui se retrouvent de part et d’autre de la loi. Basé à El Paso, Jack Benteen (Nick Nolte) est un Texas Ranger de troisième génération tandis que de l’autre côté de la frontière, dans un petit village mexicain, réside son ami d’enfance Cash Bailey (Powers Boothe) ancien informateur devenu baron de la drogue dans le district. Si Benteen est déterminé à ramener son ami devant la justice, la véritable ligne de tension entre eux tient dans la relation entre Jack et la sensuelle Sarita (Maria Conchita Alonso) dont ils ont toujours été amoureux et qui est devenue la maîtresse de Jack après avoir été celle de Bailey. Bientôt Cash est pris pour cible par une unité gouvernementale clandestine composée de soldats tous déclarés officiellement comme morts, dirigée par l’impitoyable major Hackett (Michael Ironside). Hackett demande à Benteen de l’aider à récupérer des documents secrets du gouvernement prétendument en possession de Bailey, forçant ainsi le Texas ranger à choisir entre d’anciennes loyautés et les exigences du devoir. Au milieu d’une confusion croissante, de conflits d’autorité et des manœuvres troubles du major, Jack apparaît comme la seule boussole morale dans un monde qui a perdu ses repères éthiques faisant de lui une espèce résolument en voie de disparition.


Le film sort alors que l’administration Reagan a déclaré la guerre à la drogue que Walter Hill veut aborder sous l’angle des filières de distribution non pas dans les villes mais de l’autre coté de la frontière, cadre qui lui offre la possibilité de réaliser un western (à peine) déguisé. Tous ses films appartiennent peu ou prou au genre et la thématique d’hommes qui se frayent un chemin dans un territoire hostile traverse ses œuvres. Hill s’est toujours intéressé à la définition du courage masculin et peut ici jouer avec la mythologie virile du western tout en produisant le divertissement d’action qu’attend Carolco compagnie de production qui a bâti son succès sur celui des Rambo. Cette idée des frères ennemis qui se respectent et se battent pour l’amour d’une femme à une portée mythique qui ajoute du drame et de la tension à l’intrigue. Si il peint les personnages principaux comme plus grands que nature Hill prend soin de leur donner de la profondeur. Extrême Préjudice repose sur son style sec et efficace et la dynamique qu’il impulse propulsant l’action d’une fusillade à l’autre jusqu’au plus violent des crescendos lors des festivités de la fête de l’indépendance dans l’hacienda de Bailey où Benteen le confronte alors que le commando de Hackett affronte son armée privée. Une séquence proprement dantesque où il rend hommage au carnage final de La Horde Sauvage de Sam Peckinpah. Hill ne souhaite pas s’affranchir des codes du genre les utilisant au contraire pour rendre familière une intrigue parfois confuse. En effet Extrema Préjudice a une structure inhabituelle pour un film d’action, avec ses deux intrigues distinctes qui luttent pour la prééminence. A la rivalité entre les deux cow-boys s’ajoute les machinations obscures du commando clandestin de Hackett. Cette lutte entre ces deux trames reflète celle qui oppose en coulisses Hill à ses producteurs qui veulent tirer le film, sorti en plein scandale du Contragate (plusieurs hauts responsables du gouvernement fédéral américain ont soutenu un trafic d’armes vers l’Iran malgré l’embargo touchant ce pays espérant utiliser les produits de la vente d’armes pour financer les Contras au Nicaragua) vers le thriller d’action militaire. La bande-annonce laisse à penser qu’Extrême Préjudice que Carolco tente de vendre comme un nouveau Rambo 2, se concentre sur un affrontement entre Nolte et le commando. Pourtant aussi mémorable soit-il, grâce à la personnalité exubérantes de ses interprètes et l’iconisation qu’en fait Hill (leur introduction en ouverture du film qui indique les antécédents militaires de chaque membre s’inspirant de celle similaire de la série télévisée L’agence tous risques est un modèle d’efficacité), les tribulations d’Hackett et son commando ne sont qu’une intrigue satellite à l’affrontement entre les deux rivaux. Le film se conclut d’ailleurs par un duel dans la grande tradition de l’ouest et une conclusion ambiguë dans la veine de Peckinpah pour qui Hill avait écrit le scénario de Guet-Apens et à qui il tenait à rendre hommage. Le réalisateur donne au film sa cohérence par sa grande maîtrise narrative, le rythme soutenu qu’il impose, la caractérisation de ses personnages mémorables et l’atmosphère poisseuse de l’ensemble. Il est assisté dans cette tache par la photographie à la fois lumineuse et froide de Matthew F. Leonetti. (Commando , Strange Days, L’armée des morts)


Walter Hill retrouve son interprète de 48 heures Nick Nolte qui pour Extrême Préjudice change délibérément son style échevelé et rebelle pour bâtir un représentant de la loi dans la tradition de l’Ouest américain, le réalisateur lui offrant la chance d’interpréter un personnage moralement parfait. Pour se préparer le comédien regarde énormément de vieux films pour essayer de retrouver la posture de ces personnages des années 40 – leur façon de se vêtir et de porter leurs armes. Pour incarner ce marshall pris entre deux feux, Hill lui demande de s’inspirer particulièrement du Gary Cooper du Train sifflera trois fois. Aminci (il perdit une vingtaine de kilos pour le rôle), le visage ciselé portant son stetson de Texas Ranger enfoncé de telle sorte que son regard bleu acier soit perpétuellement dans l’ombre, Nolte compose un héros taciturne et stoïque qui intériorise sa souffrance et les conflits moraux et sentimentaux qui le traversent. Pour le rôle de l’antagoniste de Nolte, Hill choisit un autre acteur qui avait travaillé avec lui auparavant, Powers Boothe qui incarnait un des soldats de la garde nationale traqué par des Cajuns dans Sans Pitié (Southern Comfort une autre perle du réalisateur dont on espère une belle édition prochaine). L’acteur texan décédé en mai 2017 passe ainsi ici du coté obscur bien que son personnage soit intentionnellement tout de blanc vêtu, ce contraste entre son apparence et sa moralité a une portée symbolique forte. Boothe compose un personnage étrange et imposant, à la fois cynique et malveillant mais plein d’humour et parvient à nous faire entrevoir en lui un homme meilleur qui sait s’être condamné en succombant à ses plus bas instincts. A leurs cotés on retrouve Rip Torn (Men in Black) qui livre une performance amusante en shérif local, figure paternelle pour Jack qui lui transmet ses valeurs et son code de l’honneur et Maria Conchita Alonso (Predator 2) dans un rôle un peu ingrat de femme trophée.


Si le cœur du film tient sur l’affrontement entre les personnages de Nolte et Boothe, les acteurs que Hill à recruté pour composer sa « Zombie Unit » sont si charismatiques qu’ils éclipsent bien souvent son héros, mâchant et crachant avec délice les dialogue de dur à cuire de Hill et Milius. Michael Ironside (Scanners, Total Recall), Clancy Brown (le Kurgan d’Highlander) et William Forsythe (Il était une fois en Amérique, Justice Sauvage) constituent un groupe à la manières des Expendables si ils réunissaient les meilleurs méchants des années 80. Michael Ironside en particulier brille ici dans le rôle du major Paul Hackett froid et calculateur auquel le canadien prête son sourire maniaque et son regard impitoyable qui en fait de loin un des seconds rôles favoris du rédacteur de cette critique. Son personnage vole chaque scène dans laquelle il se trouve et était si présent dans le premier montage du film que Hill en coupera 45 minutes qui impliquaient Ironside et un personnage complètement effacé du montage incarné par Andy Robinson (le Scorpio de Dirty Harry). L’imposant Clancy Brown incarne un personnage plus sympathique qu’à l’habitude en soldat cow-boy finalement assez moral. On note la présence dans le final d’une autre « gueule » d’Hollywood l’ancien catcheur Tommy « Tiny » Lister (le prisonnier de Dark Knight et le président de l’univers dans le Cinquième élément). Échec commercial en salles devenu standard des années VHS, Extrême Préjudice est un modèle du macho-cinéma des années 80 , si plein de testostérone, qu’il aura sans doute provoqué spontanément la puberté chez les adolescents l’ayant découvert dans les années 90, et qui mérite vraiment d’être reconsidéré comme l’ensemble de la carrière de Walter Hill.

PatriceSteibel
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le 1 nov. 2019

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