Aussi étonnant que cela puisse paraître, je n'avais jamais vu l'œuvre-testament de Stanley Kubrick, sans pouvoir réellement expliquer ce manque de motivation. Le sujet, sa réputation légèrement mitigée... Toujours est-il que sa ressortie au cinéma était une occasion rêvée de le découvrir enfin : c'est donc ce que j'ai fait, pour mon plus grand plaisir. Avec le recul, je me demande même comment ai-je pu à ce point douter de maître Kubrick tant celui-ci fait une nouvelle fois preuve d'une maestria souvent grandiose. Il y a tellement de choses à écrire que je ne sais par où commencer.


Formellement, sans être son travail le plus étourdissant, celui-ci reste d'une maîtrise, d'un raffinement rares, l'utilisation et le choix de la musique classique, pourtant très présente, faisant merveille, chaque plan, chaque scène ayant été soigneusement pensé pour nous plonger dans cet univers si singulier auquel nous sommes conviés, où le génie du cinéaste se déploie pour nous mettre face à nos contradictions, nous faisant passer par toutes les émotions à travers les tourments moraux et sexuels d'un couple ayant pourtant tout pour être heureux. Comme souvent, c'est un élément à première vue anodin qui va déclencher une véritable crise d'identité beaucoup plus subtile qu'au premier abord, où le comportement du héros a de quoi susciter nombreuses interrogations et interprétations.


Si ce dernier, manifestement perturbé par la révélation que lui a fait sa femme, est manifestement attiré par l'idée d'en séduire (au moins) une autre, le destin va minutieusement s'acharner à


l'en empêcher, donnant autant l'impression d'une incroyable malchance qu'une absence de réelle volonté d'aller jusqu'au bout de sa démarche,


et ce alors que certaines occasions étaient concrètes. Ce pourrait presque être une comédie, mais Kubrick amène son scénario vers quelque chose de beaucoup plus troublant, questionnant les apparences, multipliant les interprétations possibles quant à certains personnages, certaines scènes...


On sent que le film est long, et pourtant on n'a jamais réellement envie que celui-ci se termine tant le mystère que tisse l'auteur d' « Orange Mécanique » est fascinant, l'œuvre trouvant évidemment son point d'orgue à travers cette hallucinante


cérémonie secrète, dont le pouvoir hypnotique n'a d'égal que l'incroyable sophistication du rituel, la beauté des images et la dimension grandiose des lieux, cet aspect très vénitien à travers le port des masques et des costumes


renforçant l'emprise que ces quelques minutes inoubliables peuvent avoir sur nous.


Et c'est là l'une des immenses forces d' « Eyes Wide Shut » : nous n'avons qu'une envie, retourner voir l'un de ses incroyables spectacles et d'en être constamment


empêché, tel notre héros, finalement totalement impuissant.


Il y aurait encore beaucoup à écrire, et même si j'émets de très légères réserves dans le scénario ou l'impression de voir Nicole Kidman (superbe) un peu sous-exploitée, je reste étourdi par cette expérience unique de cinéma, où l'on retiendra que le tout dernier mot prononcé dans l'immense carrière de Stanley Kubrick est


« fuck »,


mais surtout à quel point celui-ci était capable de nous éblouir autant par sa maestria visuelle que le trouble profond vers lequel celui-ci nous emporte lorsqu'il évoque la complexité des sentiments humains : reconnaissance éternelle, Monsieur.

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le 7 août 2020

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Caine78

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