Avant toute chose, il faut savoir que Falling in Love de Ulu Grosbard est une variation très libre d’un monument du cinéma : Brève Rencontre de David Lean (1945). Là où Lean filmait la retenue britannique dans une gare de province, Grosbard déplace l’histoire dans le tumulte new-yorkais des années 80, décennie où l’ascenseur social se mêle à l’essor de l’individualisme.
Frank (Robert De Niro) et Molly (Meryl Streep) vivent tous deux en banlieue, dans ce rêve pavillonnaire censé incarner le succès américain mais qui, derrière ses pelouses impeccables, abrite aussi une certaine monotonie. Les années Reagan valorisent réussite, consommation et famille nucléaire, mais l’urbanisation galopante et le rythme du travail bouleversent les repères. Le film capte ce flottement : quand on passe ses journées à courir, que reste-t-il d’un mariage usé par la routine ?
Dans ce contexte, leur relation naissante, plus amicale qu’amoureuse au départ, devient un exutoire face à l’ennui d’une vie réglée au millimètre. L’adultère n’est jamais frontalement assumé : c’est l’ambiguïté, le non-dit et la question morale qui nourrissent le récit.
Élément essentiel de Falling in Love, le train n’est pas qu’un décor pratique. C’est la passerelle entre deux univers : la banlieue sage où tout semble figé, et New York, bouillonnante, anonyme, pleine de possibles. Dans le wagon, Frank et Molly quittent leurs rôles de conjoints modèles ; la ville, au terminus, devient une bulle où l’on peut respirer autrement. Chaque trajet rythme leur rapprochement, comme si les rails traçaient une voie parallèle à leur quotidien.
La mise en scène, sobre et sans effets, laisse toute la lumière à ses acteurs. De Niro, contenu et vulnérable, joue à contre-courant de ses rôles habituels ; Streep, toute en nuances, fait exister chaque hésitation. Leur alchimie subtile suffit à maintenir l’attention, même quand l’intrigue se contente de gestes simples et de silences éloquents.
Bon… Falling in Love ne bouleverse pas les codes du mélodrame. Mais il reste une chronique douce-amère sur le désir et la fidélité, témoin d’une époque où l’Amérique réinventait ses repères affectifs. Un film modeste, sincère, et surtout sublimé par deux monstres sacrés au sommet de leur art.