Fanny et Alexandre est un film d’hallucinations. L’hyperréalisme d’une reconstitution d’époque, sublimée par la photographie de Sven Nyqvist et les accents de Bach et Schumann, devient prétexte à un foisonnement visuel qui touche parfois au délire. Il ne s’agit pas d’une transmutation de classique en baroque : l’hyperréalisme bascule sans transition dans le surréalisme.

La direction d’acteurs, souveraine, contribue à l’éblouissement. Devenu un vieil homme, Bergman cesse de placer exclusivement les femmes au cœur de sa dramaturgie. Il les mêle aux hommes, aux vieillards et aux enfants. Oui, c’est désormais l’enfance qui le fascine, son mystère distant et poignant qui se passe de mots. Chez le jeune Alexandre, la virginité des sensations ne signifie nullement l’ignorance, mais au contraire induit une forme d’extra-sensorialité. L’enfant peut voir l’invisible ; il échappe au conditionnement adulte ; sa vie n’est pas encore aseptisée, comme le voudrait l’évêque Vergérus, avec son culte stérilisant, au fond moins vraie que les mensonges de la création. Chez Alexandre, l’effroi côtoie l’émerveillement. Il voit, ressent cette magie étrange du monde que nous ne savons plus ressentir.
Les quinze premières minutes déploient un univers où se réconcilient le bleuté et l’incarnat, la chaleur et le froid, le familier et l’étrangeté, la vie et la mort. Ce prélude éblouit ; il est beau, au sens le plus poignant – au sens où la beauté est une blessure dont on ne guérit pas. De cette errance pleine de promesses, émaillée de beauté et de terreur, le reste du film apparaît comme l’écho.

Dans Fanny et Alexandre, Bergman s’ouvre plus que jamais à l’altérité, celle de l’enfance, de la famille, de l’imagination libérée et de la vie ; ce faisant, il touche du doigt ses contradictions intimes, car au bout du voyage ce n’est que lui-même et son œuvre qu’il palpe. D’où un film brillant, témoignage au sein duquel le créateur au crépuscule de son œuvre a mis le meilleur de lui-même pour nous le léguer, frémissant et précieux, stimulant et vivant, matrice de rêves, voire de vocations.
KanedaShotaro
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le 9 sept. 2013

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Kaneda

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