Nous sommes en 1937 quand Walt Disney se lance dans une adaptation ambitieuse de L'Apprenti Sorcier, poème symphonique écrit par Goethe en 1797 et mis en musique par Paul Dukas en 1897. Alors que Mickey Mouse, personnage phare de Disney, connaît une période difficile en raison de l'engouement des enfants pour le personnage secondaire de Donald, le réalisateur voit dans ce projet l'opportunité de relancer le succès de sa petite souris. C'est aussi l'occasion de faire découvrir à son jeune public la musique classique sans risquer de les offusquer en leur imposant sa propre représentation visuelle des pièces musicales sélectionnées.
Partant d'un court-métrage musical, le projet devient plus ambitieux et se transforme en une « série d'interprétation en animation de thèmes musicaux » destinée à être représentée dans des salles de concert. Mais Walt voit de plus en plus grand et commence à envisager la conception d'une série de films suivant le même concept que Fantasia, avec de nouvelles séquences qui viendraient remplacer les anciennes afin que le public ne voie jamais deux fois le même film.
Malheureusement, l'ambition du réalisateur ne suffit pas à Fantasia pour conquérir son public. A cause la Seconde Guerre et du manque de succès en Europe, Disney finit par abandonner tout projet de suite.


Il faut attendre 1991 pour que le succès commercial de la sortie vidéo de Fantasia convainque le nouveau directeur du Studio Disney de l'intérêt du public pour le film de 1940. Il accepte alors l'idée de concevoir un nouveau Fantasia et attribue cette tâche à Roy Edward Disney, le neveu de Walt.
Malgré de longues années d'attentes et des difficultés liées au remplacement de la VHS par le DVD à la sortie du film, Fantasia 2000 finit par voir le jour, 60 ans après l'original. A l'image du projet initial de Walt Disney, il se destine premièrement à une tournée de concerts itinérants dans plusieurs grandes villes, avant de faire sa sortie dans 75 cinémas IMAX à travers le Monde.
Les recettes ne sont pas très importantes et le succès critique est mitigé. Si les éléments reprochés au Fantasia de 1940 ont pu être corrigés (Fantasia 2000 ne dure plus qu'1h15, la scène d'introduction a été raccourcie et il n'y a plus d'entracte), on reproche par contre au nouveau Fantasia sa qualité visuelle inégale et son infidélité dans les thèmes évoqués par rapport au film original.


Pour ma part, j'aurais autre chose à reprocher à Fantasia 2000, et c'est si peu négligeable que j'en viens à considérer que cela gâche complètement l'ensemble du film.
Si Roy E. Disney a choisi de respecter le principe de Fantasia en nous présentant une suite de séquences d'animation sur un fond de musique classique, il a par contre pris la décision de concevoir des intermèdes d'un tout autre style.
L'effet d'ombres chinoises provoqué sur l'orchestre de Fantasia a disparu pour donner lieu à une espèce de fond bleu-kitsch, similaire à ceux utilisés dans les plateaux de tournage pour l'incrustation. Si la volonté du réalisateur était de construire « une sorte de salle de concert au milieu d'une vaste plaine imaginaire vide », j'ai eu simplement l'impression de me retrouver dans un TV show de mauvais goût.
Mais en plus de cela, des célébrités issues de divers domaines du divertissement, comme Steve Martin, Itzhak Perlman, Quincy Jones, Bette Midler, James Earl Jones, Penn & Teller et Angela Lansbury prennent leur place sur le plateau (ne parlons même plus de scène) pour nous assommer à coups de blagues incommodantes. Notons aussi leur manque de charisme à l'écran, qui rend ce fond bleu encore plus abominable.


En mettant cela de côté, qu'y a-t-il à dire de Fantasia 2000 ?
Dès l'ouverture du film, les instruments commencent à s'accorder sur le thème « Quand on prie la bonne étoile ». Tout se déroule ensuite très rapidement. En à peine une minute, le narrateur nous présente le programme et nous explique d'emblée les trois genres de la musique explicités dans Fantasia : la musique « narrative », qui raconte une histoire, la musique « illustrative » qui évoque une ou des images, et la musique « absolue », qui n'existe que pour elle-même. Il y a tant d'informations qu'il est impossible de les mémoriser, surtout pour un enfant.
Entre chacune des huit séquences présentées, nous nous retrouvons à nouveau sur le plateau. Malgré ces idées inventives au niveau des transitions entre prises de vue réelles et séquences d'animation, les intermèdes ne nous apportent finalement pas grand-chose. Les quelques anecdotes artistiques sont dévoilées sans être développées, et le temps qu'on comprenne leur intérêt dans le film, la présentation est déjà terminée.


Au niveau de l'animation, on retrouve davantage de variété de styles que dans Fantasia. Les séquences ont été produites en combinant la 2D avec des images de synthèse, mais les deux styles se mêlent l'un à l'autre avec une fluidité particulièrement étonnante pour l'époque. Rappelons tout de même que nous sommes quatre ans après Toy Story, le premier long-métrage entièrement réalisé en images de synthèse. Si la technique de ce dernier a pris un peu d'âge, je trouve que celle de Fantasia 2000 reste impressionnante et très similaire au travail réalisé dans certains films d'animation actuels, comme Spider-Man : New Generation ou Klaus, pourtant qualifiés d'innovateurs alors qu'ils n'ont fait que suivre cette idée qui avait germé vingt ans plus tôt.


Comme je l'avais fait pour ma critique de Fantasia, j'ai choisi de subdiviser la suite de celle-ci en huit parties, une pour chaque séquence. En effet, chacune d'entre elles se démarque véritablement des autres, tant par la technique que le courant musical.



  • Première séquence : Symphonie n°5 de Ludwig van Beethoven, représentation de la musique dite « absolue »


Principalement réalisée en images numérisées, les arrière-plans de la scène ont néanmoins été peints et colorés au pastel.
A l'instar de la Toccata et Fugue dans Fantasia, le film s'ouvre sur une scène d'abstraction, bien que les éléments puissent être bien plus aisément assimilés à d'autres. Des faisceaux lumineux filtrent les nuages et se déversent sur la roche comme de la pluie, des projecteurs s'ouvrent, le ciel est illuminé par un orage (scène qui ravira les épileptiques). Mais surtout, des papillons par milliers, au vol similaire à celui de chauve-souris ou d'avions en papier. Les teintes colorées, dans les moments musicaux plus doux, sont remplacées par les teintes sombres, dans les moments musicaux plus obscurs. Mais si la séquence est agréable visuellement, je lui reprocherais d'avoir voulu en faire trop en nous présentant de nombreuses mini-scènes trop rapides, et de ne pas laisser davantage de place à notre imagination.



  • Deuxième séquence : Pins de Rome d'Ottorino Respighi


Il s'agit de la première pièce suggérée pour le film, ainsi que la première a avoir été animée. C'est également l'une de mes préférées, car elle m'a complètement charmée dès le premier visionnage.
Toute la séquence a été érigée en 3D, excepté la technique des yeux des baleines, ce qui confère un style très sympathique à ces créatures. Le graphisme des décors, des aurores boréales, des icebergs, des nuances de bleu et des baleines est à couper le souffle (et devait l'être encore davantage en IMAX). Je retiendrai aussi la scènes parfaitement accompagnée par la musique mystérieuse, où la petite baleine se retrouve piégée dans l'iceberg, ainsi que l'impressionnant envol des baleines.



  • Troisième séquence : Rhapsody in blue de George Gershwin


La séquence débute avec un très bel effet de dessin minimaliste. Le style graphique devient ensuite très différent, s'inspirant des œuvres du caricaturiste Al Hirchfeld. Non seulement, l'effet chromatiquement complexe des couleurs est particulièrement novateur, mais en plus de cela, la séquence regorge de bonnes idées scénaristiques, notamment avec tous les gags liés à l'ascenseur de chantier, ou lorsque les gens se trouvent serrés les uns contre les autres sans pouvoir se détacher.
Cette séquence semble être une critique de notre société, qui ne vit que pour l'argent sans prendre le temps de profiter de la vie. Les personnages représentés souhaitent d'ailleurs une vie meilleure et finissent par réaliser leur souhait à la fin de la scène.
Notons quelques éléments, comme les cils de la serveuse qui ressemblent en tous points à ceux d'Yzma dans Kuzco, l'empereur mégalo sorti la même année, le graphisme de la fillette qui diffère des autres personnages, ainsi que cette magnifique image finale de New-York en lumières.



  • Quatrième séquence : Concerto pour piano n°2 de Dmitri Shostakovich


A l'origine, Walt Disney souhaitait réaliser un film d'animation en associant une série de contes de Hans Christian Andersen. C'est finalement dans Fantasia 2000 qu'apparaît l'adaptation du Petit Soldat de Plomb.
Il s'agit du premier court-métrage entièrement réalisé en images de synthèse par le Studio Disney, bien que la technique employée donne un peu une impression de 2D.
Malgré de bonnes idées, comme celle où l'ombre de la danseuse se révèle être celle d'une plante, et malgré un soldat de plomb fort sympathique, j'ai trouvé la séquence un peu longue.



  • Cinquième séquence : Final du Carnaval des Animaux de Camille Saint-Saëns


A l'instar du ballet de la Gioconda dans Fantasia, cette scène est la plus légère et humoristique du film. Elle est aussi extrêmement courte, si courte qu'elle n'en devient pas nécessaire.



  • Sixième séquence : L'Apprenti sorcier de Paul Dukas


Cette fameuse séquence à l'origine du projet Fantasia est aussi la seule à avoir été reprise dans Fantasia 2000. Bien qu'elle fut restaurée numériquement, la scène a été reproduite à l'identique, jusqu'au passage où Mickey vient saluer l'ancien narrateur, puis le nouveau.
On peut voir dans cette séquence une sorte de gros « fan service » ou un moyen audacieux de reléguer une part du travail aux dessinateurs de l'époque, à l'image de Mickey qui relègue sa tâche aux balais (d'où mon titre : "L'Apprenti Fantasia")...



  • Septième séquence : Pomp and Circumstance d'Edward Elgar


Si Walt Disney avait choisi L'Apprenti sorcier pour redonner un peu de vigueur à Mickey, il semblerait que son neveu n'en ait plus rien à faire en choisissant de consacrer cette longue scène à Donald.
Certes, les péripéties du canard font toujours sourire, mais je ne comprends pas vraiment l'intérêt de cette séquence. Les animaux ne marchent pas en rythme, le ton comique de l'image ne coïncide pas avec l'atmosphère solennelle de la pièce musicale... Le manque de concordance entre l'animation et la musique fait finalement perdre tout son sens à l'oeuvre.



  • Huitième séquence : Suite de 1919 de L'Oiseau de feu d'Igor Stravinsky


Fantasia 2000 se clôture en beauté avec cette séquence, tout simplement magnifique, qui mériterait d'avoir une place ailleurs que dans ce cadre bleu-kitsch peu avantageux. Parce que, si j'affectionne la musique de Stravinsky, cette séquence est aussi ma préférée.
Deux gouttes tombent, s’emmêlent et créent ce personnage somptueux, selon moi un des plus beaux jamais créés par Disney (et davantage proche d'un travail de Miyazaki, soit dit en passant). Notons aussi cette ressemblance avec Brendan et le Secret de Kells, dans l'atmosphère et la créature, ce contraste entre les tons froids de la nature et le rouge du monstre, ainsi que cette sublime scène finale où la nature reprend vie.
Mais nous sommes surtout proches de la dernière séquence de Fantasia, lorsque l'Oiseau de feu, né de la lave d'un volcan en éruption, se hisse dans le ciel, tel le démon Chernabog...


Pour conclure cette longue critique, je vous conseillerais d'aller voir et revoir ces différentes séquences sous forme de court-métrages, ce qui vous épargnera ces intermèdes désagréables et inintéressants.
Je pense aussi que si Fantasia s'est révélé particulièrement novateur en 1940, perpétuer ce principe serait une grave erreur, à l'ère où des milliers de court-métrages d'animation circulent librement sur internet...

Lilymilou

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