Dans ce film signé Philippe Faucon qui se déroule dans la banlieue lyonnaise, nous suivons un trio. Un trio féminin. Celui-ci est composé de Nesrine, 18 ans qui est en Prépa médecine et déterminée à passer l’année supérieure; Souad, une lycéenne de 15 ans réfractaire au système scolaire et à l’autorité de sa mère; et enfin la fameuse mère qui est également notre héroïne, Fatima femme de ménage divorcée prête à tout pour aider ses filles à évoluer dans leur vie et dans leur mentalité. Fatima, fidèle à elle-même surveille de près ses enfants et les obstacles auxquels ils ont ou auront à traverser.
L’écriture du film fait en sorte que l’on fasse notre propre lecture du caractère des personnages en nous partageant leurs morceaux de vie. Ainsi, Fatima, Souad, Nesrine se croisent et s’entrecroisent, que ce soit dans l’appartement familial, à l’extérieur, ou dans la colocation de la jeune étudiante en médecine. On les voit seuls, ensembles ou avec des ami(e)s. On les voit rire, pleurer et surtout s’aimer. Mais pas toujours car avant tout ce film est affaire de paroles, de silences : et plus précisément des espaces dans lesquels soient les unes soient les autres sont requises.


Parce que ce film traite de la notion d’espace (et des tensions autour de cette notion) à de nombreux moments. Par exemple, au début du film, notre trio se retrouve congédié d’un immeuble dans lequel il était prévu qu’il fasse la visite d’un appartement (vraisemblablement car Fatima porte le voile). De même, Souad se demande si l’école est un endroit pour elle, à tel point qu’elle n’hésite pas à ne plus s’y rendre. Le quartier populaire dans lequel vit notre trio est connu aussi pour les ragots entretenus par les mères de famille qui fusent contre chacun. Plus concrètement, Nesrine et Souad sont confrontées au problème inhérent aux parents réfugiés : une absence de langage, d’ancrage qui fait qu’elles se sentent la plupart du temps exclues des cercles qui se forment, qu’elles qualifient de « français ». De son côté, Fatima est une personne plutôt dans son monde. Son refuge, gardé secret de tous, correspond à sa manie nocturne d’écrire des poèmes en arabe dans lesquels elle sait parler à ses enfants, à défaut de les dire devant eux. Et ceci constitue l’un des reproches que fait la rebelle Souad à sa mère, à savoir qu’elle ne parle pas français et que selon elle, sa mère n’a pas d’importance.


Pourtant Fatima fait partie de ces femmes seules, courageuses qui se privent de tout, qui travaillent dur pour nourrir leur famille. Ceci peut sonner banal dans le contexte d’un film mais Faucon parvient à donner une dimension plus forte à son touchant personnage en lui conférant une sobriété dans son geste et un but réaliste qu’elle se donne. Notre héroïne apprend assidûment et progressivement la langue de ses filles et le fait surtout pour elles. Elle espère ainsi s’ouvrir un nouvel espace en faisant la démarche de comprendre le monde qui l’entoure et de s’élever à la position de ses filles. Cet élément combiné aux écritures nocturnes apportent une grande force à l’éclat de cette femme qui cherche à triompher pour donner tort à Souad. Aucune caricature n’est faite, pas même dans le personnage du père, oreille quelquefois attentive aux problèmes de ses filles et à la relation des celles-ci avec leur mère, son ex-femme.


Ce film est propre dans sa mise en scène et réaliste dans son approche des couches de vie présentées. On pourrait reprocher l’absence d’un plus grand nombre d’enjeux et une superficialité dans le développement des enfants mais qu’importe : il charme le spectateur de sa sobriété et de son efficacité.
Enfin, Faucon a le mérite de ne pas tomber dans le misérabilisme qui paraissait de mise avec ce genre de synopsis. Ainsi, cette œuvre nous emporte dans ce lyrisme urbain dans lequel on se demande si notre trio forme un solide cercle unique de personnes aimantes malgré des divergences certaines à l’image de toutes les familles.

Irénée_B__Markovic
7

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le 12 oct. 2015

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Ikarovic

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