La noirceur et la froideur en apesanteur

On peut voir ce film comme un conte moral et considérer qu’il décline sur un mode universaliste les périls de l’absence d’amour : ça se passe aujourd’hui à Moscou, mais ça aurait pu se passer n’importe où ailleurs et n’importe quand. Dans cette perspective, l’exercice s’avère d’une efficacité redoutable qui nourrit le drame jusqu’à un dénouement sans espoir. Ce point de vue n’est tout de même pas très folichon. Et puis, on peut sortir de la séance beaucoup moins affligé en se disant que l’histoire se passe en Russie, pas chez nous. Il suffirait de contextualiser. La Russie postcommuniste aurait donné naissance à une classe moyenne composée d’individus égoïstes imperméables à toute forme d’empathie. Le problème avec cette lecture c’est qu’autant la charge contre les tares du cadre politique de la société russe contemporaine était clairement orientée dans le film « Léviathan » du même réalisateur, autant les institutions sont à peine effleurées ici : il ne faut pas compter sur la police mais le flic n’est ni antipathique ni corrompu et le patron du père est certes un orthodoxe sourcilleux sur le statut marital de son personnel, mais un divorce peut se camoufler. Le malaise et le dysfonctionnement repose dès lors sur les seuls individus. Andrey Zvyagintsev s’attache tellement à gommer toute couleur locale (à l’exception peut-être de l’excursion à la campagne chez la terrible grand’mère), que l’explication culturaliste a du mal à s’imposer. Cette incertitude du regard n’enlève aucun intérêt au film. Elle en fait un objet étrange qui place la noirceur des sentiments et la froideur des cœurs dans une sorte d’apesanteur, suggérant par des images de la nature ou de ruines ce qui n’est ni montré ni dit, pour aboutir à un dénouement elliptique.

Cheminet
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2017

Créée

le 11 déc. 2017

Critique lue 281 fois

1 j'aime

Félix Cheminet

Écrit par

Critique lue 281 fois

1

D'autres avis sur Faute d'amour

Faute d'amour
blacktide
7

Ni le ciel, ni la terre, juste des Hommes

Il y a quelques mois s’achevait une œuvre qui, par son impact réflexif et émotionnel, marquera, à jamais je l’espère, les esprits tourmentés de ses spectateurs. Une œuvre qui transcende son simple...

le 1 sept. 2017

62 j'aime

19

Faute d'amour
Velvetman
9

Foule sentimentale

Une nouvelle fois, Andrei Zvyagintsev nous invite à scruter les méandres d’une Russie en ballotage, un pays qui perd son souffle à travers une déshumanisation carnassière. De ce postulat un peu...

le 26 sept. 2017

57 j'aime

3

Faute d'amour
voiron
8

Faute d'amour

Dans Faute d'amour, un couple en instance de divorce délaisse son fils. Boris et Genia n’ont plus rien d’autre en commun qu’un appartement, qu’ils cherchent à vendre pour retrouver chacun de leur...

le 1 oct. 2017

37 j'aime

7

Du même critique

Zombi Child
Cheminet
4

Le vaudou n'est pas toujours un sujet envoûtant : la preuve !

Ce film prétentieux et mal maîtrisé ennuie sans émouvoir ni distraire. Il faudrait savoir si le réalisateur souhaite nous parler de ce temple de l'élitisme qu'est le lycée de jeunes filles de la...

le 14 juin 2019

7 j'aime

1

The Bookshop
Cheminet
5

Un éloge décalé à la librairie indépendante

Au premier abord, ce film est un peu au cinéma ce que sont les albums de Floch et Rivière à la BD : un exercice de style très soigné qui joue de l’ambiguïté entre un récit dramatique et une...

le 7 janv. 2019

7 j'aime