Découvrir sur le tard le cinéma d’Alfred Hitchcock est décidément galvanisant : le cultissime Rear Window, soixante-dix balais au compteur, n’affiche en ce sens aucune ride tout en prenant, avec une patience et un méthodisme références, ses personnages et spectateurs à la gorge. L’attachant « Jeff », en dépassant son immobilisme par le regard, métamorphose son appartement et la cour qu’il surplombe en un tout plus complexe, à mi-chemin entre le huis clos étouffant et le spectacle vivant.
Le tour de force de Rear Window est de faire de son panel social, lui qui agite ce microcosme fait de proximités et de distances, une toile de fond aussi captivante que l’observation réalisée par l’un, puis toute une association de voyeurs se prenant au jeu – dont le spectateur fait partie intégrante. Pourtant très académique en surface, le long-métrage nous happe dès lors avec un doigté confondant, l’enquête « immaculée » menée par Jeff tutoyant un macabre invisible, bien qu’égratigné par les doutes de ses consorts et l’absence de preuves tangibles.
Puis, comment ne pas se faire envoûter par la simple présence de deux monstres sacrés du cinéma : la trop rare et exquise Grace Kelly, ainsi que l’inaltérable et charismatique James Stewart, tous deux formant l’un des couples les plus mémorables qui soient. Mais surtout, leurs interprétations sont au diapason de personnages brillamment écrits, Rear Window tissant une romance plus complexe qu’escomptée, les réserves de l’un nourrissant la bravoure de l’autre pour mieux s’unir : et pour ne rien gâcher, le récit ira de son lot restreint de figures secondaires délectables à souhait.
Bref, Rear Window n’usurpe en rien son statut de monument du cinéma, son « duel » aveuglant prodiguant un suspense final du meilleur effet, où tout converge avec une habileté confondante de justesse. Du très grand cinéma, ni plus ni moins.