C’est l’histoire d’un type paumé que sa vie personnelle et professionnelle ne satisfait pas. Il a beau se conformer à ce que la publicité, le catalogue IKEA et son père lui disent de faire, confronter sa souffrance à celles de cancéreux en phase terminale, la cure ne dure qu’un temps et les insomnies reviennent à grands pas. Alors le narrateur se libère de la pression sociale en obéissant à ses pulsions : il met le feu à son appart’ et part vivre dans un taudis, entame une relation sado-masochiste avec une fille suicidaire et monte un club de combat clandestin.
Quel est le propos de Fight Club ? Difficile de n’y déceler qu’une dénonciation de la société de consommation, comme le répètent volontiers nombre de critiques. Pour plagier Jean Lefebvre dans Les tontons flingueurs : "Y’a aut’ chose…"
En effet, comme l’affirme Tyler Durden, tel un slogan publicitaire : "Les choses que l’on possède finissent par nous posséder" . S’opère ainsi une inversion du rapport de consommation, puisque l’être humain devient lui-même un objet destiné à être vendu, utilisé et jeté, comme n’importe quel autre objet. Les accidentés de la route ne sont alors plus qu’une variable dans une équation, le corps humain une machine et la douleur une simple information, les obèses des réservoirs de graisse destinés à faire du savon qu’eux-mêmes vont acheter – cannibalisme moderne.
S’inverse aussi le rapport de force : l’opprimé devient l’oppresseur, le solitaire soumis, le mâle alpha, le romantique frustré, l’amant insensible et insatiable… bref, le narrateur navigue tant bien que mal entre l’individu réel et l’individu fantasmé, et, au-delà de cette inévitable bipolarité, la mutilation s’avère aussi d’ordre physique : insomnies, cancers, castrations, défigurations, autant de signes palpables d’un mal-être touchant les couches populaires de la société.
Le discours de Fight Club aurait pu se teinter d’une coloration rouge vif, si cet élan libertaire ne se voyait pas rapidement pilonné par un profond nihilisme, symbolisé par le bien nommé projet Chaos. En souhaitant faire tomber une autre forme de toute-puissance – celle du système bancaire -, le narrateur, ancien employé de bureau à peine libéré de ses chaînes, se transforme en un chef autocratique et s’empresse de les poser sur d’autres paumés. Ainsi, malgré le "happy end" de circonstance, le constat est implacable : les dictatures se suivent et se ressemblent, inévitablement. Et l’ "autre", sacrificiel, de subir sa propre souffrance.