Apprends l’alphabet avec Jennifer West.


Film Title Poem c’est avant tout un concept : s’égarer sur les sentiers d’un parcours de cinéphilie balisé par les écrans-titres de centaines de métrages visionnés par son auteur. Le film s’inscrit alors dans la lignée de The Grand Bizarre, arborant les apparences d’un vaste exercice de style sous forme de montage d’images toujours semblables ; à la différence près qu’aux tissus multicolores se substituent ici des images fixes de titres cinématographiques, classés laborieusement par ordre alphabétique.


À cela, Jennifer West se propose de rajouter un sous-texte réflexif sur ce qu’est le cinéma, réinvoquant par exemple la matérialité de la pellicule en griffonnant dessus des symboles et gribouillages abstraits. Par le jeu du montage, elle crée aussi des ponts arbitraires entre différentes œuvres, extrayant tel ou tel mot de leurs titres pour créer une nouvelle combinaison – Le Magicien d’Oz et Le Seigneur des Anneaux enfantant ainsi par exemple « The Wizard of the Rings ». Enfin, le choix des œuvres représentées a également été pensé pour offrir une diversité de genres, de pays, de réalisateurs, … pour mieux mettre en évidence la richesse du 7ème Art. En tous cas sur le papier.


Il faut bien avouer que la chose amuse un temps. L’association des titres et des motifs dessinés dessus est originale et divertissante, les combinaisons de mots créent parfois des titres invraisemblables, le tout a un côté ludique. Surtout, on se plaît à chercher dans le tas les films que l’on a vus ou que l’on connaît, pointant l’écran du doigt à chaque occurrence comme un Leonardo Di Caprio low-cost – avis aux amateurs, ça ferait sûrement un bon jeu à boire.


Dans les faits, on finit très vite par se faire chier. Film Title Poem est marrant cinq minutes, puis l’amusement mène à l’ennui, l’ennui mène à la colère, la colère mène à la haine, la haine mène à la souffrance. Là où le film de Jodie Mack avait le mérite de se renouveler et d’essayer de nouvelles variantes de son concept régulièrement, celui de West est d’une platitude maladive et répète constamment les exacts mêmes effets. Si tu tiens jusqu’à la lettre B sans déjà t’ennuyer, je dis chapeau. Parce que le film dure 1h08, quand même, et j’avais très envie de me pendre pendant l’interminable lettre T qui a le malheur de durer quasiment un quart d’heure, la faute à tous ces titres en « The » que je maudis désormais.


C’est bien simple, Film Title Poem n’atteint son potentiel qu’en tant qu’installation artistique : si je l’avais croisé dans un musée d’art moderne, je me serais avec plaisir arrêté quelques minutes devant le film, puis serais passé à autre chose après que la magie a cessé d’opérer, et je m’en serais alors rappelé comme une œuvre d’art ma foi fort sympathique. Mais en tant que film à part entière, c’est un échec cuisant. Regarder la chose en entier, en une une seule séance n’apporte rien, et produit l’effet inverse de celui escompté, passant du visionnage ludique à une torture insupportable. De toutes façons, la réalisatrice le dit elle-même…


« La projection au cinéma produit quelque chose de complétement différent, qui me met mal à l’aise dans mon fauteuil – l’expérience d’être forcée de regarder, en ordre alphabétique, la totalité du film, incluant des moments de silence introspectif. »

Au final, le film est un exercice intéressant, oui, mais seulement à petites doses. Il en restera tout de même l’article écrit par Jennifer West, pour expliquer sa vision et la fabrication de Film Title Poem. La lecture est passionnante ; la théorie offrant en définitive à un spectateur perplexe tout ce que la pratique n’aura pas su lui transmettre. → « Jennifer West Introduces Her Film « Film Title Poem » » (en anglais)


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le 2 août 2020

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