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Bonjour Christopher Nolan, vous n'avez pas honte ?

En aparté : Je connais bien Christopher Nolan. J’ai vu chacun de ses films, la plupart d’entre eux à deux reprises au moins ; je pense pouvoir dire que, si sa réalisation me laisse de marbre, il m’arrive d’apprécier ses histoires - et donc plutôt le travail de son frère - tout en détestant ses méthodes. Nous y reviendrons.


Following est le premier film (qui aurait gagné à être un court métrage mais Nolan a fait le choix d’atteindre - laborieusement - les 1h10) de Christopher Nolan, produit pour 6000$. Un budget ridicule qui n’excuse pas tout (quoique, magnanime, je lui mettrai 5) : la réalisation est pour ainsi dire absente, une caméra tremblante se contentant de constater une suite d’événements ; le tout est raconté dans un noir et blanc très laid sans aucune valeur esthétique, franchement cache misère. On est encore loin, terriblement loin, du Christopher ‘money shot’ Nolan des années 2010. En 1998, c’est toujours “Chris, mais si le gamin du quartier, tu sais celui qui veut faire des films“ qui réalise Following.


Doodlebug, son premier “vrai“ court métrage sorti l’année précédente, était bon parce que court et qu’il ne se laissait pas le temps d’avoir des failles. Si je conçois que parier sur Nolan et choisir de lui faire confiance après Doodlebug soit possible, je ne comprends pas comment il a pu trouver du soutien après Following.


Le film n’ayant aucun intérêt esthétique, penchons nous sur ce qu’il raconte. Et surtout, sur la façon dont il le raconte.
Pas de chance, c’est également problématique.


Nolan utilise déjà la technique (le mot “technique“ étant ici utilisé négativement) qui deviendra l’une de ses marques de fabrique : la narration non-linéaire. Ici plus que de dans tous ses autres films, le résultat difficilement la route ; en fait, si Following était monté dans l’ordre chronologique, il n’y aurait tout simplement pas d’histoire. Malgré ce choix narratif stratégique, le scénario reste d’une platitude absolue : il n’y a pas d’enjeux, pas une once de tension.
Les personnages sont d’ailleurs inintéressants au possible et sont enfoncés par des interprétations sans aspérités. Les acteurs sont alternativement à peine investis ou dans l’exagération. D’ailleurs, si Lucy Russel a tant bien que mal poursuivi une carrière (The Crown, Toni Erdmann), les deux hommes ne sont plus jamais apparu à l’écran.


Revenons à la manipulation du spectateur par la déconstruction chronologique. Bien sûr, le cinéma est le medium privilégié pour l’artiste qui souhaiterait se jouer de son public et cela peut être réalisé avec brio ; chez Christopher Nolan, il y a tout de même une certaine dose de malhonnêteté. Il est le cinéaste de l’incertitude, de l’hypothèse, du twist (du prestige, diraient les familiers du vocabulaire de la magie) par excellence. Ses oeuvres n’existent pas pour leurs retournements de situation (qui aurait une valeur narrative comme, au hasard, dans Vertigo de Hitchcock) mais grâce à leur construction “à twist“ qui insuffle artificiellement de la valeur au reste du film.
Comme si la seule chose qui comptait était de tenir le spectateur entre ses mains, maître Nolan délivre petit à petit les outils et clés qui permettront de comprendre. Problème, sans ce système de clés, il n’y a pas d’histoire ; elles sont essentielles et remplacent même le scénario.


En définitive, Following n’a pas grand chose pour lui… et n’a que très peu d’intérêt, dans la filmographie du réalisateur (ou alors, uniquement pour voir d’où il est parti) et dans le cinéma en général.
Le visionnage n’est pas douloureux, simplement long et sans saveur.


P.S. : « Following, le suiveur » allons-nous vraiment faire comme si de rien n’était, comme l’ineptie de ce titre français devait rester impunie ?

oggy-at-the-movies
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le 27 mai 2018

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