Fenêtre sur lourds
Dans le rôle du propriétaire d'immeuble le plus flippant du monde, je demande Klaus Kinski. Parce que quand même un chirurgien adepte de l'euthanasie ainsi que de l'état nazi qui s'amuse à mettre des...
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le 23 mai 2012
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Au milieu des années 80, Charles Band voit grand et rachète les studios de son enfance : Dinocita situé à Rome. L’avantage était triple. Le producteur bénéficiait de coûts d’exploitation moins onéreux, d’une main d’œuvre qualifiée en provenance d’Europe, et surtout cela lui permettait de réemployer des décors pré-établis pour d’autres productions afin de réaliser des films à la chaîne.
Cormanisme-Bandisme
Cette nouvelle organisation du travail hérité des méthodes Roger Corman, va permettre de tourner plusieurs films simultanément. Dolls et From Beyond partageront donc le même décor. Les appartements conçus pour le film Troll seront également recyclés dans le cadre d’un thriller en huit-clos. Charles Band missionne alors David Schmoeller d’en écrire le scénario avant de lui en confier la réalisation. Contraint par les limites de son environnement, le réalisateur imagine un vétéran du Vietnam qui, souffrant de syndrome post-traumatique suite à son emprisonnement et les tortures qu’il a subi, cherche à infliger les mêmes traitements à ses locataires.
Les thrillers psychologiques en lien avec le conflit vietnamien étaient alors très en vogue depuis la sortie de Rambo en 1982. La Troma sortira d’ailleurs le traumatisant Combat Shock la même année, si bien qu’Albert Band ; père de Charles ; préférera botter en touche cette idée afin de changer l’origine du tueur pour un ancien SS allemand. L’offre sera soumise à Klaus Kinski contre un cachet de 100 000 $, permettant au film de s’exporter beaucoup plus facilement.
La personnalité tourmentée de Karl Gunther sera calquée sur celle de son principal interprète connu pour ses caprices et ses démences légendaires sur les plateaux de tournage (Fitzcarraldo, Aguirre, La Colère de Dieu). Abonné aux rôles de parfait salaud, Klaus Kinski était capable de véhiculer un large panel d’émotions sans avoir besoin de prononcer le moindre mot à l’écran (Nosferatu, Fantôme de la Nuit), grâce à ses expressions fiévreuses, et ce regard noir, à la fois pathétique et vicieux.
Véritable monstre du cinéma, Klaus Kinski a beaucoup œuvré dans le cinéma de genre, que ce soit dans le domaine du thriller (Jack l’éventreur), ou du western spaghetti (Et le vent apporta la violence, El Chuncho). David Schmoeller ne fera pas exception dans la liste des réalisateurs ayant souffert de leur expérience avec l’acteur. Les conflits seront tels que cela occasionnera des dépassements de budget important.
À l’instar du tournage de Aguirre, la colère de Dieu, l’équipe de production songera à se débarrasser définitivement de sa star dans un accident pour toucher l’argent de l’assurance. Une possibilité néanmoins écartée par Charles Band qui entretenait à l’inverse de très bons rapports avec lui. Klaus Kinski et David Schmoeller se quitteront dos à dos, fâchés et irréconciliables. Le réalisateur évacuera sa rancœur dans un court documentaire intitulé Please Kill Mr. Kinski, où il relatera son expérience avec l’acteur. Werner Herzog en fera autant avec son célèbre documentaire Ennemis intimes.
Dans la tête du tueur
Fou à tuer ne serait certainement pas le même film sans son principal interprète. L’acteur interprète un ancien médecin, fils d’un haut dignitaire nazi, fasciné par l’art de donner la mort. D’humeur mélancolique, le comédien se laisse aller dans ses élans suicides, jouant sa vie à la roulette russe tandis qu’un chasseur de nazis s’intéresse de plus en plus près à son profil. Les pulsions meurtrières du tueur contenues en son for intérieur finiront par éclater lors du dernier quart d’heure. Karl se mettra alors à chasser les habitantes dans une série de chausse-trappe spectaculaire et sournois.
La topographie sinueuse des conduits d’aération permet de projeter l’état mental de l’antagoniste, qu’il traverse en rampant afin d’aller épier ses locataires. Ce décor, permet également à David Schmoeller d’orchestrer un jeu du chat et de la souris particulièrement pervers. Cette idée reste la meilleure du long-métrage tant elle place le public dans une position ambivalente et voyeuriste. Si l’intrigue souffre de son rythme en dent de scie, le réalisateur met l’accent sur le travail de sa mise en scène, utilisant les mouvements de la caméra et son découpage technique pour accentuer le sentiment oppressant de claustration.
La composition musicale de Pino Donaggio et la photographie léchée de Sergio Salvati (chef-op attitré de Lucio Fulci) participent à l’élaboration de cette atmosphère malsaine et viciée. Kinski ne fait qu’un avec l’objectif, scrutant le public et ses locataires afin de les déshabiller du regard et d’envahir leur sphère intime et privée. Si les amateurs de cinéma gore en seront pour leur frais, le film propose néanmoins quelques séquences fortes. Le personnage se projette des rétrospectives de films nazis dans son grenier. Ce lieu lui sert ainsi de salle des tortures et de musée où sont exposés les restes de ses précédentes locataires, dans des bocaux et sur des mannequins qu’il agrémente de nouveaux éléments.
Plus glauque encore, Karl entretient une relation trouble avec une femme réduite en captivité dans une cage, limitée à une posture animale et primitive. Ces traitements inhumains font écho au sort réservé par les populations juives dans les camps de concentration. Pour autant, Fou à Tuer ne dépasse pas le cadre d’une pure série B. Avec son titre racoleur, le film de David Schmoeller vise principalement à satisfaire nos propres obsessions et pulsions déviantes de cinéphiles, mais aussi à voir Klaus Kinski en pleine possession de ses moyens, nous gratifier d’un nouvel éclair de folie.
Le sage pointe la lune, l’idiot regarde le doigt. Alors s’il te faut un guide pour parcourir l’univers étendu de la Full Moon Features, L’Écran Barge te fera découvrir le moins pire et le meilleur de l'oncle Charles Band, le Walt Disney de la série bis !
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le 10 sept. 2024
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