Gabriele Mainetti ou le super héros du cœur et de l’inventivité jaillissante

On reconnaît vite la patte de celui qui engendra, pour notre plus grand plaisir, Jeeg Robot, en 2016, dans ce nouvel opus qui propulse cette fois vers l’existence cinématographique quatre super héros, voire cinq, puisque ces quatre sont lancés à la poursuite du cinquième, tant il est vrai qu’ils étaient jusqu’alors… unis comme les cinq doigts de la main. Mais, justement, le « méchant » auquel ils s’opposeront arborera, lui, six doigts à chaque main ; ce qui n’aura pas pour autant l’effet de décupler ses forces, si ce n’est dans l’art pianistique.


Certes, l’époque a changé, depuis « On l’appelle Jeeg Robot » (2016) ; l’action n’est plus globalement contemporaine, mais se situe à Rome, en 1943, sur fond de Seconde Guerre Mondiale. Quatre artistes de cirque, qu’un bon nazi n’aurait pas manqué de qualifier de « dégénérés », vont tenter de retrouver leur mentor et père de substitution, Israel (Giorgio Tirabassi), séparé d’eux accidentellement, et qui a le pouvoir de faire surgir de ses mains n’importe quel objet convoité : Matilde (Aurora Giovinazzo), adorable adolescente de quinze ans, a la redoutable propriété d’être véritablement électrique ; le monumental Fulvio (Claudio Santamaria), entièrement recouvert d’une longue pilosité, est doté d’une force hors du commun ; le blond et mince Cencio (Pietro Castellito), aux cheveux peroxydés, commande aux insectes, les fait surgir où et quand il veut, et se disposer selon ce qu’il a décidé ; le nain Mario (Giancarlo Martini), priapique à ses heures, présente la particularité d’aimanter le métal. Ils côtoieront la figure inquiétante de Franz (le toujours excellent Franz Rogowski), le pianiste virtuose aux douze doigts, dirigeant un cirque prospère et prisé des nazis ; personnalité authentiquement schizophrène, splittée entre sa propre monstruosité et l’adulation inconditionnelle que Franz voue à Hitler et à ses sbires, parmi lesquels son frère aîné… En chacun de ces cinq super héros, y compris en leur opposant virtuose, il y a du Jeeg Robot, par leur hybris et leur inventivité géniale.


Les moyens, cinématographiques et financiers, mis à la disposition du réalisateur - co-scénariste (avec Nicola Guaglianone), co-compositeur de la bande originale (avec Michele Braga) et co-producteur, avec plusieurs autres -, ont gagné en ampleur et en monumentalité mais, à la différence de nombre de réalisations outre-Atlantique, cette démesure n’est pas vaine, uniquement mise au service du clinquant et du tape-à-l’œil ; elle sert toujours le propos, très latin, du réalisateur, qui dit l’intensité des sentiments, de la colère, du cœur, de l’exigence de justice. Une démesure qui saurait préserver une forme de pureté, et d’innocence, d’où naîtrait l’émotion du spectateur. Son adhésion, aussi, malgré l’invraisemblance assumée des péripéties dans lesquelles sont entraînés les protagonistes. Car le scénario obéit à une logique plus onirique qu’héroïque, donc plus humaine, plus touchante, plus universelle ; et ne s’embarrassant pas de vraisemblance.


Gabriele Mainetti n’est pas né pour rien dans ce pays de cinéma qu’est l’Italie. S’il plonge ouvertement ses racines dans le neo-réalisme italien, on le sent également en dialogue avec d’autres univers, qu’ils soient frontaliers ou plus lointains. Son cinéma se pose comme cousin de celui de Dupontel, par le rythme, la créativité abracadabrantesque, mais aussi l’aspect social, plus ou moins en fond, qui donne la main au néo-réalisme national. Et l’on retrouve comme un héritage de Tim Burton, dans les machineries, le caractère échevelé. Des traits qui reconduiraient vers Mathias Malzieu, pour la poésie également…


Si l’eau jouait un grand rôle dans « On l’appelle Jeeg Robot », le réalisateur ultramontain signe un deuxième long-métrage tout entier placé sous le signe du feu, qui parvient toutefois à ménager nos âmes d’enfants et à tenir la promesse faite, dès l’ouverture, par le patriarche en bonimenteur : « Ici, vous le verrez, le rêve devient réalité ».

AnneSchneider
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le 20 mars 2022

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Anne Schneider

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