L'argument de cet avant dernier film d'Hitchock est simple : un tueur sadique étrangle des femmes avec une cravate dans le Londres des années 1970 .


Une chose frappe à chaque fois qu'on regarde Frenzy : le rapport constant entre deux thèmes qui s'entrecroisent : le sexe et la nourriture .



  • Le tueur vend des fruits à Covent Garden , littéralement le "jardin du couvent" et va tirer dans une scène mémorable son épingle de cravate du corps d'une de ses victimes dans un camion rempli de pommes de terres .


    • La femme de l'inspecteur lui mitonne des recettes catastrophiques françaises du "gaulois bleu" au lieu des solides breakfast à l'anglaise qu'il affectionne avec saucisses , bacon , oeufs sur le plat , haricots rouges à la sauce tomate et thé.. qu'il prend en cachette dans son bureau de New Scotland Yard .


La femme du suspect principal est assassinée alors qu'elle déjeune dans son agence matrimoniale pendant que sa secrétaire , très vieille fille pincée , est allée elle -même déjeuner

et les scènes de pub abondent ...


On pourrait ne voir là qu'un simple contrepoint pour dédramatiser le côté glauque du film .


Contrepoint qu'on ne trouve pas du tout d'ailleurs dans Psychose tourné en 1960 et qui fut interdit aux moins de 16 ans à sa sortie , alors que Frenzy , douze ans plus tard ne fut interdit qu'aux moins de douze ans .


J'ai longtemps entendu opposer l'amour "eros et l'amour agape" . ( sans parler de l'amour filia) . Agape renvoie au bon repas entre potes à la convivialité bon enfant , au bon gros jovial à qui on donnerait le "bon Dieu sans confession" . Une innocence bien réconfortante qui s'opposerait aux horreurs possibles du sexe .


Hitchock a qui l'on a beaucoup reproché d'avoir des attitudes douteuses vis à vis de certaines de ces "blondes actrices " (par exemple Tippi Hedren , l'actrice phare des Oiseaux et de Pas de printemps pour Marnie) n'est il pas lui même un de ses"bons gros" ?


Il est vrai que comme de grands réalisateurs tel Fritz Lang ou Otto Preminger il était aussi perfectionniste et incroyablement exigeant .


On retrouve aussi un autre contrepoint ,propre à tous ses films : l'opposition entre les conventions "les bonnes manières" , les apparences sociales et la culpabilité réelle .


Le sadique est ici présenté comme un "bon copain" qui vient en aide à celui qui va être suspect à sa place .. Il est tout autant pote des policiers de Covent Garden .. "il est sympa" . Il "aime les fruits" . Il a bien des ondulations de cheveux blonds platinés et un regard fixe dérangeant , mais tout cela semble dilué par son côté "bonne pâte" .


En fait l'opposition entre la soi disant innocence du rapport à la nourriture et la culpabilité du sexe s'inscrit de façon virtuose dans cette perspective là . Quel va être le lien génial entre les deux ?


Qu'est -ce qui peut bien représenter l'hypocrisie des conventions sociales , sinon "the tie" , la cravate . Elle est l'instrument , la signature de l'étrangleur , clairement montrée dans l'affiche du film .


On peut suggérer un interprétation qui comme toutes les interprétations sont sujettes à caution car l'intérêt étant , comme le dit la propre fille d'Hitchock de pouvoir toujours comprendre quelque chose de nouveau à chaque vision du même film .


Rosk , le tueur , dont la culpabilité est connue dès le début éprouve une profond dégoût de soi , un sentiment profond d'infériorité , fortement refoulé .Il projette cette haine de soi sur des femmes , qui sont ses proies et dont l'étranglement n'est que la métaphore tragique de son impuissance et de son incapacité à éprouver l'orgasme .


"L'enfer c'est l'autre de Sartre" devient donc pour lui : l'enfer c'est la femme et son huis clos tragique n'a pour seule issue leur étranglement . La frénésie est un ainsi le basculement ,le moment où il retourne contre sa proie son dégoût de soi , c'est tout autant le moment "frénétique" où il recherche son épingle de cravate oublié dans le corps d'une de ses victimes ou le moment où une autre victime , directrice d'une agence matrimoniale lui dit" qu'elle n'a pas de solution pour un profil comme lui" ..


Evidemment , évidemment l'issue du film , la chute sera toute autre . La signature d'un virtuose celle là .
Hitchock avait souhaité Michael Caine pour interpréter le sadique mais il a refusé .
Comme aurait Pascal , "la face du film en eût été changée" ... .

Créée

le 28 juil. 2019

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