La cravate qui tue
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La scène d’ouverture est assez significative. Un politicien fait un discours en plein Londres. Son intervention parle de la modernisation de la ville, une ville qui se débarrasse des tares du passé et devient une métropole du future. La preuve : la Tamise va être entièrement nettoyée et deviendra saine (c’est bizarre, j’ai déjà entendu un truc comme ça pour une autre capitale…).
Mais son discours va se fracasser contre l’apparition, dans la Tamise justement, du cadavre nu d’une femme étranglée par une cravate. Et, dans le public présent, on refait vite la comparaison avec Jack l’Eventreur, en étalant même des détails sordides. Une comparaison qui, loin de nous entraîner vers une métropole du futur, qui serait nettoyée des horreurs du passé, nous replonge au contraire dans les brumes glauques d’un cloaque où se cache un criminel sadique.
C’est sans doute là un des aspects les plus intéressants de Frenzy, film qui, sans cela, ne serait qu’une énième variation sur le thème du faux coupable, thème usé jusque’à la corde par Hitchcock. Mais cette plongée dans Londres permet au cinéaste de faire la description d’une ville restée enfermée dans ses horreurs, une ville glauque et malsaine. En cela, les décors ont une importance capitale : rues populeuses où il est impossible de passer ou halls d’entrée dont on s’éloigne à reculons, les décors du film créent de nombreux endroits où il est possible de se cacher, se cacher pour tuer ou pour échapper à la police. Des décors tortueux comme l’esprit de l’assassin.
L’autre aspect intéressant du film, c’est justement le criminel et surtout la façon d’en parler, de le montrer, de le filmer. Dès le début on nous prévient : un tel assassin est une personne bestiale, qui laisse libre cours à ses pulsions. Et c’est bien ce que filme Hitchcock, avec une liberté de ton assez rare. L’assassinat auquel on assiste est filmé de façon crue, sans filtre. La caméra du cinéaste britannique fait des gros plans sur les corps, sur le visage de la victime ravagée par la terreur, sur le visage du criminel déformé par ses pulsions, sur les yeux lorsque la mort s’abat. Des gros plans qui instaurent un degré supplémentaire dans le glauque et le malsain : une fois de plus Hitchcock ne cherche pas à nous parler de la folie macabre, mais à nous la faire vivre. Nous avons devant nous les deux aspects du personnage, le bonhomme bien sous tous rapports et parfaitement intégré socialement, et le criminel sadique. A ce titre, le jeu de Barry Foster est formidable.
De fait, Frenzy est plus un drame, avec un aspect social et psychologique, qu’un film à suspense. Nous connaissons très vite l’identité du meurtrier, et, à mon avis, le film ne nous propose qu’une seule scène à suspense, dans un camion rempli de patates (là aussi, les gros plans ont un rôle essentiel dans l’instauration d’une ambiance bien glauque, surtout dans l’atmosphère confinée du camion). Hitchcock se concentre sur autre chose : la description d’une ville malsaine, le portrait d’un tueur et de ses obsessions, et même le drame social (le personnage chômeur, l’Armée du Salut, etc.).
L’humour a aussi sa place dans ce film, essentiellement lors des repas du policier avec son épouse. Mais cet humour, qui permet de se moquer de la cible préférée des Britanniques, c’est-à-dire les Français et leur gastronomie si peu ragoutante pour un palais d’outre-Manche, est lui aussi entaché de glauque : il faut voir cette tête de poisson qui surnage dans la soupe et semble nous regarder, ou cette caille qui paraît encore remuer.
En bref, Hitchcock réalise ici un de ses films les plus sombres et malsains.
Même le happy end final n’y changera rien, d’autant plus qu’il est franchement mal torché et qu’il arrive de façon totalement improbable (évasion improbable de la prison, illumination improbable du policier sous les conseils répétés de son épouse, etc.).
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il y a 7 jours
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